La lettre volée

Notes et idées : Politique, Bandes dessinées, Polars, Media, Actualité, Europe...

Message à André Gunthert sur l'Europe, la grève des universités et les journalistes

Dans un billet récent je citais le remarquable blog d'André Gunthert, qui me fait d'ailleurs le plaisir de m'inscrire en lien dans sa rubrique "lu ailleurs".

Je tombe sur un billet de lui (Adieu Monde cruel) consacré à la grève de l'enseignement supérieur et plus particulièrement d'un conflit entre enseignants et journalistes illustré par une anecdote.

Un enseignant universitaire, Jérôme Valluy, a recommandé, avec un peu d'humour, de boycotter le journal le Monde, trop silencieux et ne soutenant pas les enseignants dans leur combat contre les réformes.

Je suis convaincu qu'il s'agit d'un point essentiel. Quelques notes trop rapides :

1. La réforme des universités s'inscrit dans une philosophie néolibérale européenne. Ceux que cela intéresse pourront écouter la conférence ci-dessous, très complète, on y parle du processus de Bologne notamment :



2. Le logo de l'AERES, l'agence d'évaluation qui est l'un des pivots de la réforme, s'est, comme Marianne, symboliquement couvert d'étoiles pour signifier ce lien. Ces étoiles qui planent au dessus de la pauvre agence sont comme une allégorie de l'allégeance exigée de notre vieux système envers son maître européen :



Les méthodes de l'AERES sont rejetées par un grand nombre de chercheurs de l'EHESS, qui ont signé un texte récusant ses compétences (parmi les signataires, Marc Abélès, Hervé le Bras...).


Quel rapport avec les journalistes ?


Ceci, un événement apparemment isolé :

Nous avons des gens compétents - les chercheurs de l'EHESS, en butte à une politique directement européenne, conflit dont les journalistes se fichent.

En réalité, ce n'est pas nouveau, c'est continuel :

Quand 41 professeurs agrégés de droit ont écrit à Jacques Chirac, en 2007, pour protester contre les empiètements européens, illégitimes et illégaux, silence radio.

Quand l'Union européenne finance la répression féroce des candidats à l'émigration vers l'Europe à partir de l'Afrique, silence radio. Et quand le Monde évoque, dans un sous-titre, des critiques de la politique de l'Union, Frontex n'est même pas citée.

Comme l'Union européenne, pour l'élite française, est réputée faire le bien, les journalistes, reflet de la pensée de l'élite, sont désarmés pour relater les conflits partiels qui opposent chacune des catégories sociales en butte à l'oppression européenne.


Les journalistes peuvent évoquer plus facilement les pêcheurs, l'élite se contrefiche de ce conflit mineur qui a un côté folklorique. Comme l'élite a un peu plus de mal à balayer les universitaires d'un revers de main (encore que...), les journalistes font silence, comme ils l'ont fait pour les professeurs de droit en 2007.


Résumons

L'Union européenne n'apporte aucun bénéfice concret. Pour des raisons obscures (refuge maternant des occidentaux apeurés ?), ou moins obscures et plus honorables (volonté de réconciliation post 1945), elle reste bien vue de l'élite et donc également en hauts lieux médiatiques.

Donc, chacun des conflits partiels qui va, très concrètement, faire la preuve de l'impasse européenne sera passé sous silence. Les seuls sujets un peu traités, et sur lesquels l'Union européenne peut parfois reculer, sont ceux qui rencontrent une opposition franche et massive de l'opinion publique (OGM, plaques départementales, vin rosé peut-être, mais ça n'est pas sûr...)

Hors ces cas particuliers, l'Union européenne avance ses billes néolibérales avec méticulosité, pied à pied.

Après tout, les pro-Europe considèrent déjà que le suffrage universel ne compte pas (mai 2005, bientôt quatre années), chacun des secteurs qu'ils auront à dompter, mettre au pas, domestiquer, passera à la toise étoilée, comme les autres. Dans le plus parfait silence des
journalistes.

C'est pourquoi, j'ai tendance à penser qu'il incombe aux universitaires de rompre ce cercle vicieux où chacune des victimes de l'Union européenne s'oppose seule à l'institution européenne ou para-européenne (l'AERES pour les universités, FRONTEX pour les émigrés), chargée de les mettre au pas.

Si l'Europe néolibérale est l'impulsion motrice des réformes en cours, dites le, les élections européennes sont une occasion rêvée pour cela. Je dirais même plus, comme l'Union européenne est un traité de libre échange, irréformable, non démocratique, réclamez, avec d'autres le boycott actif des élections européennes (certes le néolibéralisme est un phénomène mondial, mais nulle part ailleurs que dans les textes constitutifs européens et dans la pratique européenne il ne s'est exprimé aussi violemment. Les Etats-unis sont plus interventionnistes que l'Union).

Mélenchon et les européens alter sont englués par leur choix de participer à ces élections de carnaval et deviennent inaudibles, ne les imitez pas.

Messieurs et Mesdames les universitaires, si une catégorie sociale est en position de sortir par le haut de ces conflits européens, c'est bien vous. Oubliez Sarkozy, qui n'est qu'un exécutant appliqué, l'AERES, qui n'est qu'un paravent, et visez clairement Bruxelles ; portez enfin un conflit européen au niveau où il doit l'être : un combat entre les valeurs démocratiques et humanistes et l'aveugle processus européen.






Post scriptum :
hasard pas  étonnant, Jérôme Valluy a travaillé sur les camps de détention dont la création est encouragée par l'Europe (article sur l'Europe des camps), écrivant par exemple ceci : "L’Europe impose à ses voisins, par voie de coopérations asymétriques et de partenariats dominés, la sous-traitance des tâches de traque, dissuasion et éloignement des migrants. Les relations euro-méditerranéennes se trouvent ainsi orientées de plus en plus exclusivement par cette lutte contre l’immigration."
Un homme lucide sur de nombreux sujets.
















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G
On s'entrelit depuis assez longtemps pour que vous me connaissiez : rien n'est plus fidèle à ses convictions qu'un cocu. Donc, s'il s'avérait qu'il puisse encore exister de brillants universitaires capables de ne pas comprendre que ce qui leur arrive n'est que la conséquence de la construction du marché intérieur, c'est que 1) ils ne méritent pas leur statut et piquent la place d'un meilleur qu'eux et 2) les faits se chargeront de les convaincre un jour ou l'autre avec toute la pédagogie nécessaire.
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E
Samy : désolé, c'est perdu...Gus : à mon avis il ne faut jamais supposer qu'en matière d'impulsions européennes les citoyens sont correctement informés. Entre la complexité intrinsèque des questions européennes et la volonté de simplifier les choses pour faire des papiers plus courts, l'info est plutôt insuffisante que surabondante...
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G
à noter : on l'oublie trop souvent, surtout à l'occasion des élections européennes, mais la formation professionnelle, y compris initiale, est une compétence de l'Union dans le cadre de la construction du marché intérieur : de sorte à éviter des distorsions de concurrence que pourraient induire les diplomes et certificats nationaux. L'université à la française ayant de plus en plus fréquemment vocation à fournir des formations professionnalisante, par exemple, pour les métiers enseignants, .... que dire de plus ?Pour ma part, je n'ai jamais cru bon d'écrire sur Publius à ce sujet, les enseignants d'université n'ayant pas besoin de l'aide de qui que ce soit pour savoir ce qu'il en est.
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S
Zut, J'ai perdu un long commentaire que j'avais rédigé, en allant vérifier qqchose sur google.Il est vraiment perdu ? Une erreur de moi ou une faiblesse du logiciel du blogue ? J'ai la flemme de recommencer. Faut dire que je tape plutôt lentement. Samy
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J
je me permets de vous proposer également le blog de l'une de mes connaissances:http://histoireuniversites.blog.lemonde.fr/Bien cordialement,jf.
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E
M. Gunthert, merci pour votre sentiment.FD : je suis pour la raison que tu indiques, convaincu que les classes prépa doivent être intégrées à la fac...Samy :L'Union européenne est, dans son coeur, un projet néolibéral. On ne peut pas la faire évoluer dans le sens que tu dis. Ensuite, il n'est même pas prouvé que, ni dans l'intérêt de la démocratie, ni dans l'intérêt de l'économie, les 450 millions d'européens soient mieux lotis dans un état européen que dans 27 états nationaux. L'intérêt de l'Union reste à prouver, et en théorie, et en pratique.Ce n'est pas l'europe qui a inventé le néolibéralisme, mais elle est comme ça et c'est comme ça qu'elle est tolérée. Dire  la fois qu'on est conscient des méfaits des réformes néolibérales pilotées par l'Europe mais qu'on veut rester dedans pour la "réformer de l'intérieur" comme voulurent le faire nombre de militants du PC, c'est une attitude pas très éloignée de celle de l'autruche...  Bises quand même au passage !
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S
Autour de l'Europe, le problème ne me semble pas bien posé : il semble de plus en plus clair, pour de plus en plus de gens que l'europe neo-liberale n'est absolument pas démocratique et de surcroit, nous mène à la cata (néoliberale) économique qu'on voit prendre de l'ampleur tous les jours .sous nos yeux. Il est vital de souligner que c'est le néolibéralisme qui en est le moteur et la cause, car c'est cette prise de conscience qui fait le lien entre toutes les luttes qui pètent de partout en ce moment ( même Bernard Debré à la radio ce matin !). Et qui sans cela resteront émiettées.  Une autre question est de savoir si un jour, l'Europe pourra être démocratique à cause de la barrière des langues et de la non mobilité géographique de ses habitants. Et s'il existe un forme ( fédération..etc..) qui le permettrait. Tout en sachant qu'économiquement, cela serait souhaitable...
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F
Oui, mais voilà encore un problème qui vient de très loin (tout comme celui de l'alignement atlantiste de la France) : cela fait 20 ans que journalistes et hommes politiques de premier plan se fichent complètement de ce qu'il se passe à l'université, parce qu'ils ont été formés par des écoles (IEP, et CFJ) qui les dispensaient de passer par la fac.
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A
Votre analyse rejoint en bien des points celles effectuées à l'occasion du mouvement universitaire. La conférence de Geneviève Azam - et plus encore sa circulation virale - montrent qu'il y a eu chez les enseignants-chercheurs une révision fondamentale sur les positions européennes (ce ne sont d'ailleurs pas les seules: aux côtés du Monde, le PS a également perdu très sensiblement des points parmi la population universitaire). Un symptôme parmi d'autres, même s'il est moins spectaculaire que la "Charte" de Valluy: l'EHESS a voté en assemblée générale l'adhésion à l'appel à une mobilisation européenne contre la stratégie de Lisbonne:<br /> http://www.slru.ehess.org/index.php?post/2009/03/18/L-EHESS-signe-l-appel<br /> Il ne me semble pas qu'un geste pareil aurait été seulement envisageable il y a six mois.
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