Notes et idées : Politique, Bandes dessinées, Polars, Media, Actualité, Europe...
1 Février 2015
Je ne sais pas comment je suis tombé sur le blog de Yannis Varoufakis, le nouveau ministre des finances grec, mais en mai 2012, je commentais l'un de ses billets.
Je l'ai fait régulièrement depuis, avec toujours la même idée.
Varoufakis a parfaitement analysé les causes de la crise grecque : des entrées de capitaux massives quand la grèce arrivant dans l'euro a bénéficié de taux beaucoup trop bas ; puis une austérité qui a asphyxié les rentrées fiscales.
Il a conçu, en réaction, ce qu'il a appelé sa "modeste proposition" pour sauver la zone euro.
En gros, il s'agit pour lui de faire racheter les dettes des pays européens surendettés par la BCE, sans garanties nationales. Pour lui, l'avantage est d'éviter de faire porter la charge de ces rachats aux contribuables des pays moins endettés (comprendre l'Allemagne). L'Allemagne rejette ce plan, toujours selon Varoufakis, car elle souhaite pouvoir sortir de l'euro sans avoir la charge de la totalité du bilan de la BCE. L'Allemagne ne souhaite pas de confusion entre les dettes nationales, qui donnerait une consistance à une entité européenne plus grande qu'elle.
Il y a donc, d'une certaine façon, un combat fédéraliste dans l'approche de Varoufakis : la volonté de cesser de prendre en compte des dettes nationales, et de créer une dette proprement européenne. Un sacré "petit pas" à la mode Jean Monnet. C'est d'ailleurs très probablement cette attitude qui a valu à Syriza une certaine bienveillance de la part des Etats-Unis (en janvier 2013, Tsipras, reçu à Washington, s'exprimait ainsi devant la Brookings Institution : "notre but est de sauver notre pays et de rester dans la zone euro").
A un autre niveau, loin de ces visées fédérales, je reprochais à YV de négliger un point : quand bien même son idée aurait-elle été adoptée, le mécanisme qui a conduit la Grèce, l'Espagne et l'Italie au surendettement n'aurait pas, lui été supprimé. On efface les ardoises, mais la Grèce repart avec un niveau de prix complètement décalé par rapport à l'Allemagne, sans pouvoir dévaluer (cf. mon bilan de l'euro). De quoi se retrouver dans la même situation après quelques années.
Sauf à instaurer entretemps un état fédéral qui ne reconnaisse plus de grecs, d'irlandais, de français ou d'allemands, mais seulement de bons européens. En gros, je reproche à la solution de Varoufakis de ne servir qu'à gagner du temps, sans résoudre de problème fondamental.
En octobre 2012 je redisais la même chose en commentaire d'un autre billet, toujours sans réponse de M. Varoufakis.
Juillet 2013, toujours pas de réponse à un nouveau commentaire.
En mars 2014, il rappelait que l'université d'Athènes a été l'une des premières en Europe à ouvrir une chaire d'économie politique, avant Londres. Comme il rappelait lui-même, à la fin de son billet, que l'existence même des universités grecques était menacée, je lui demandais jusqu'à quand il allait soutenir l'euro et "une autre Europe"... Et là, miracle, une réponse : "J'ai été opposé à l'euro quand il le fallait : dans les années 1990. Une sortie maintenant ajouterait à la crise. Mais cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas nous y préparer."
Bon, ce n'est qu'un commentaire de blog. Mais je retiens, de ma fréquentation occasionnelle du blog de M. le Ministre, qu'il est indéniablement keynésien, brillant, et techniquement très compétent.
Je crois aussi qu'il est, dans une très grande mesure, partisan sincère d'une Europe fédérale, mais probablement pas au point d'aggraver encore les problèmes de son pays en continuant à apppliquer des politiques austéritaires qui n'ont aucun sens.
Apparemment, il pourrait d'ailleurs obtenir que la Grèce négocie directement avec Bruxelles, le FMI et la BCE, sans passer par la tutelle de la "troïka", comme l'indique le champion du monde de la fraude fiscale président de la Commission européenne.
Il y a d'ailleurs, dans la position de Syriza en général, une composante d'orgueil national qui ne doit pas être négligée. Comme l'indique d'ailleurs Varoufakis dans le blog qu'il continue d'alimenter, le soutien apparent de la Grèce à la Russie est avant tout un refus de l'habitude prise par la Commission de considérer que l'unanimité entre européens est atteinte dès lors que l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni et peut-être un ou deux autres pays se sont prononcés.
La position de Syriza est donc intéressante : il ne pourrait s'agir que d'un mouvement réclamant d'être avalé à la sauce européenne, mais avec les formes. Des accords pourraient être trouvés pour étaler la dette, la réduire ou la compenser par des investissements spécifiques, en une sorte de plan incompréhensible dans le détail mais où chacun pourrait dire avoir emporté le morceau. Les grecs n'y gagneraient que la perspective de regagner sur trente ans le niveau de vie qu'ils avaient autour de 2002.
Il pourrait aussi d'agir d'un mouvement qui refuserait de céder, pour des raisons de dignité, et arriverait à un point de blocage l'obligeant à une crise définitive et à une sortie de l'euro, avec un vrai risque d'effet d'entraînement.
Troisième et dernier scénario : soutenue par les Etats-Unis (cf. un article profondément pro-grec de Jeffrey Sachs, dans le Guardian), la France et quelques autres pays, la Grèce obtient une vraie fédéralisation de l'Union européenne, avec notamment la création d'une dette fédérale. La balle serait dans le camp allemand, qui n'en veut pas.
Mon sentiment est que s'il devait y avoir émergence d'une Europe fédérale, l'occasion est maintenant la meilleure. La sortie de la Grèce pourrait dissoudre l'ensemble du projet européen, alors qu'avec l'appui américain le marais européen pourrait convaincre l'Allemagne de céder. La pression sur l'Allemagne est énorme car si la sortie grecque entraînait l'effondrement de la totalité de l'édifice euro, cela lui serait longuement reproché.
Dans un scénario idéal, tel que décrit par Varoufakis et les alter-européens de tout poil, une fédération européenne pourrait voir le jour avec une dette fédérale et les moyens de relancer enfin les économies européennes à l'échelle continentale. La baisse de l'euro alliée à celle du pétrole constituent une occasion de franchir ce pas plus facilement.
Pourquoi, à ce compte, ne pas rallier ce beau projet fédéral ?
Parce que l'échec d'un tel plan, ou une simple lenteur dans sa mise en marche pourrait coûter très cher. Nous pourrions tout aussi bien, dans une euphorie fédérale, engager un processus qui s'avèrerait ingérable au moment d'une remontée de l'euro et du pétrole, par exemple, avec des occasions multiples de blocages nationaux. Tous les schémas fédéraux, dont celui de Yannis Varoufakis, négligent, jusqu'à un certain point, les questions de dignité, les histoires nationales et les particularismes. Les plans français, à la Pisani-Ferry, s'assoient largement sur ces questions, les technocrates français n'ayant pas l'impression d'avoir été trop maltraités par Bruxelles. Les plans fédéralistes grecs, conçus par des gens qui ont véritablement souffert du mépris bruxellois, pourraient s'avérer plus réalistes, parce que plus acceptables par les populations. L'arrivée de Syriza au pouvoir en 2015 est donc peut-être la plus fantastique opportunité de ces dernières années, pour les partisans de la mise en place d'une Europe fédérale. Je ne parierais pourtant pas sur cette réussite, que je ne souhaite d'ailleurs pas (cf. un billet de 2010, "Si les Etats fédéraux ne fonctionnaient pas ?").