Notes et idées : Politique, Bandes dessinées, Polars, Media, Actualité, Europe...
10 Décembre 2014
Un lecteur régulier m'envoie quelques informations sur la Grèce.
Elles sont choquantes deux fois : par leur nature et par leur absence quasiment totale dans les médias français.
Voici donc un extrait de ce que relate le blog Greek Crisis (en français) :
"La députée SYRIZA María Bólari a vu samedi 6 décembre, un policier incendier une benne à ordures au centre-ville d’Athènes et d’autres policiers insulter les “citoyens”, passants comme manifestants. Et à Thessalonique au même moment, des policiers brisaient les vitres du bâtiment de la Centrale ouvrière intersyndicale pour y projeter des grenades chimiques sur les manifestants qui s’y étaient enfermés. Même attitude à Athènes, lorsque les forces des MAT sont descendues dans la station du métro située sous la Place Omónia, dans une véritable chasse à l’homme inondant la station de leur gaz... si familier.
La politique de la Troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne et Fonds monétaire international), est un génocide économique lent et la “gouvernance” Samaras se concrétise alors par la propagande, la terreur ; porteuses de mort, de népotisme et de corruption. Avant même les scènes de guerre d’Athènes et de Thessalonique de ce week-end, la police avait été envoyée la semaine dernière pour... stopper des handicapés dans leur marche vers le ministère des Finances.
“Dans l'indignité nous mourrons” criaient-ils dénonçant la suppression de leurs allocations et pour certains d’entre eux, leur... expulsion du système de Santé publique (?)."
On peut discuter de l'utilisation du terme génocide et un Jean Quatremer ajouterait probablement que ces fraudeurs fiscaux n'ont que ce qu'il mérite (après quoi, il saluera la nouvelle commission Juncker, si éloignée de toute notion de fraude fiscale, elle...)
Cherchant à savoir ce que la presse bien de chez nous relate de ces événements, je tape "Grèce" dans Google actualités.
Tous les articles récents évoquant la Grèce ne parlent que de l'aspect institutionnel : les élections à venir principalement, et l'inquiétude qu'elles entraînent pour les différents marchés financiers. En gros, la Grèce c'est un titre de dette, pas un pays.
Il n'y a que des médias qui échappent à l'emprise psychologique du nationalisme européen (pour de bonnes ou mausaives raisons, qu'ils soient réellement internationalistes ou bien sujets à d'autres nationalismes) pour relater les événements grecs d'un point de vue social.
C'est le journal suisse 24 heures qui relate un événement qui émeut toute la Grèce, la grève de la faim d'un anarchiste grec emprisonné à qui est refusé le droit d'étudier.
Le blog Okeanos traite longuement des preuves assez convaincantes de l'implication de la police grecque dans des violences et l'usage de faux manifestants.
Je tombe également sur un article de la BBC qui évoque le cas d'enfants handicapés élevés en cage, faute de personnel suffisamment nombreux pour les encadrer.
Ca fait déjà six ans que les coupes dans les budgets sociaux ont conduit à l'utilisation des cages dans les institutions grecques.
En avril 2013 je signalais un article du New York Times qui relatait que des enfants grecs se nourissaient dans les poubelles.
La situation française n'a pas de rapport direct. J'entendais néanmoins il y a peu les invités de l'inénarrable émission C dans l'air (qui a réussi à faire récemment une émission s'interrogeant gravement sur l'utilité de l'euro sans aucun partisan de la sortie de l'euro), se rengorger qu'aucune austérité n'était à signaler en France. Peut-être pas à leur niveau de salaire mais ils devraient jete un coup d'oeil au blog récemment mis en ligne, Université en ruines. Les facs chauffées à 13° ne risquent pas de nous emmener très loin dans le classement de Shangai.
On peut, et on doit, s'indigner de telles situations socialement choquantes. On doit aussi essayer de comprendre.
Je crois que, en l'espèce, l'Europe rend sourds. Le nationalisme européen pèse et empêche de déplorer les effets de politiques économiques auxquelles on ne veut imaginer aucune alternative.
Il n'y a que des outsiders pour relater les défauts de plus en plus flagrants du système. Même un Mélenchon et le Front de gauche en général n'échappent probablement pas à ce travers, eux qui défendent encore ce symbole suprême d'intégration qu'est la monnaie unique. Mélenchon en 1992 était clairement, sinon un nationaliste européen, du moins un patriote :
"Si j’adhère aux avancées du Traité de Maastricht en matière de citoyenneté européenne, bien qu’elles soient insuffisantes à nos yeux, vous devez le savoir, c’est parce que le plus grand nombre d’entre nous y voient un pas vers ce qui compte, vers ce que nous voulons et portons sans nous cacher : la volonté de voir naître la nation européenne et, avec elle, le patriotisme nouveau qu’elle appelle." (la citation provient d'un blog souverainiste européen).
Mélenchon toujours, 26 ans plus tard, lance un ferme-la à Merkel, montrant qu'il balance ainsi entre patriotisme français et européen. Peut-être une façon de montrer que la construction européenne, ce projet nationaliste, reste bien un nationalisme, avec tout le potentiel conflictuel que cela implique. Les partisans ce l'Union européenne sont habitués à penser que l'édification de leur empire est en soi une solution. Comme tout nationalisme, ce n'est pourtant qu'une fuite en avant. Et l'échec du projet risque de voir ce nationalisme continental se fragmenter en autant de nationalismes à l'ancienne.
Il faut souhaiter la fin du projet européen non parce qu'il atteint les états-nations classiques qui seraient indépassables, mais parce qu'il a échoué à tenir ses promesses. Parce que l'échec est patent même s'il est politiquement inassumé. A refuser de voir l'évidence, on court le danger que les déçus du nationalisme européen se transforment en nationalistes plus traditionnels. J'ai égratigné, une fois de plus, Mélenchon. Je signale juste pour les curieux la recension que j'avais faite il y quelque temps d'un traité des après-guerres, de Peter Sloterdijk. On y trouvera peut-être, dans quelques années, les prémices d'un nouveau nationalisme allemand.
Sloterdijk d'ailleurs, écrivait que l'indifférence croissante des allemands à l'égard des français (et vice-versa) était le signe de la réussite du projet européen. Marque, s'il en est, que ledit projet européen n'est pas du tout internationaliste au sens où il rapprocherait les peuples : il les rend indifférents les uns aux autres. Le silence assez généralisé des médias à propos de la grèce en est une preuve.
Post scriptum : un ami me reproche régulièrement d'écrire sur un blog anonyme, des billets à peine relus et qui mériteraient d'être retravaillés. Il a raison sur le caractère bien brouillon de nombre de mes productions. Mais amener certains de ces billets au niveau d'un travail publiable dans des supports plus dignes, ou plus académiques, demanderait un travail supplémentaire pour lequel le temps me manque. L'exercice du blog m'a tout de même fait progresser, je crois, en rédaction - façon aussi de signaler que ce blog vient de passer les dix ans. Et par ailleurs les billets ne sont pas complets sans leurs commentaires. Les échanges avec certains commentateurs de ce site m'ont beaucoup apporté (je remercie Gilles au passage, qui m'a suggéré le thème de ce billet). C'est une spécificité du blogage : cet échange direct entre le rédacteur et les lecteurs. On gagne probablement en rapidité, il est probable aussi que la qualité en souffre. Mais si je devais écrire pour publier, je serais sûrement conduit à ne rien écrire du tout, faute de temps. Que les lecteurs agacés par les erreurs, omissions et excès sporadiques de ce défouloir m'en excusent donc. Peut-être que la rapidité d'écriture facilite le style pamphlétaire. Je cesse là les interrogations !