30 Janvier 2008
Le Traité de Lisbonne comporte des clauses contraires à la constitution de 1958, et pour cette raison une modification de la Constitution est prévue le 4 février prochain. Le Conseil Constitutionnel a ainsi jugé le Traité constitutionnel partiellement contraire à la Constitution, considérant notamment « que certaines des clauses du traité mettaient en cause les conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale, dans la mesure où elles procèdent au transfert à l’Union européenne de nouvelles compétences dans des domaines touchant à l’exercice de la souveraineté nationale, ou modifient les conditions d’exercice de compétences déjà transférées relevant des mêmes domaines, ou encore prévoient qu’une telle modification pourra faire l’objet d’une décision ultérieure qui sera alors applicable sans ratification préalable ».
La principale mesure juridique pour rendre notre appartenance à l’Union européenne conforme à la Constitution consistera à valider en bloc, sans les détailler, l’ensemble des points non conformes, en faisant viser le Traité de Lisbonne par la Constitution.
Le nouvel article 88-1 de la Constitution précisera donc que «La République participe à l’Union européenne constituée d’États qui ont choisi librement d’exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, tels qu’ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »
L’inconstitutionnalité du Traité de Lisbonne n’est donc que relative, et une modification de la Constitution suffit à valider notre adhésion à l’Union européenne ainsi réformée par le TCE.
La forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision
Sauf que. Il serait peut-être intéressant d’apprécier cette adhésion au regard d’un autre article de la Constitution, l’article 89, qui dispose que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ». Sur ce point précis, la révision du 4 février ne pourra revenir. Si le traité de Lisbonne portait atteinte à la forme républicaine du gouvernement, ce serait un cas d’inconstitutionnalité absolue, puisque cette forme n’est pas révisable. Or, en matière européenne, nous sommes parvenus à un point où l’on peut objectivement se demander si cette forme républicaine est maintenue.
Le Conseil constitutionnel, évoquant l’article 89, a plusieurs fois mentionné que la forme républicaine du gouvernement est un terme repris de la loi constitutionnelle de 1875, et que le but principal, sinon unique, était d’écarter le retour de la monarchie. Peut-on se contenter de cette interprétation étroite ? Il n’était pas possible aux républicains de 1875 d’imaginer une construction aussi baroque que celle de l’Union européenne, peut-être tout aussi éloignée d’une forme républicaine que la monarchie.
Qu'est-ce qu'un gouvernement républicain ?
Tâchons donc d’estimer la distance entre les structures européennes et un gouvernement républicaine. En république, quelle doit-être la forme du Gouvernement ? Il doit, tout d’abord, être capable de « déterminer et conduire la politique de la Nation ». Le peut-il encore, à l’heure où la politique monétaire n’est plus conduite en France, où la politique budgétaire est étroitement encadrée, où la politique fiscale est contrainte de multiples façons (par exemple sur la TVA). Dans le domaine pénal, le mandat d’arrêt européen pose un premier pas vers une compétence pénale européenne. Quarante professeurs agrégés de droit ont signé une pétition adressée l’an dernier au Président de la République pour protester contre les empiètements européens en matière de droit des contrats. La politique étrangère sera de moins en moins déterminée dans un cadre national puisque l’une des innovations du Traité de Lisbonne va consister en la création d’un ministre – qui n’en aura pas le titre mais disposera bien d’un service diplomatique complet.
Prenons du recul par rapport à la politique des petits pas successifs et à l’argumentation qui consiste à souligner que chaque traité ne comporte que quelques clauses supplémentaires par rapport au traité précédent : de très nombreuses fonctions régaliennes sont aujourd’hui assumées dans le cadre de l’Union européenne, pas dans le cadre républicain national.
La structure de l'Union européenne est-elle républicaine ?
Or, la structure juridique de l’Union européenne est tout sauf républicaine. Les partisans du projet européen s’accordent généralement à estimer qu’il s’agit d’une structure sui generis. De façon un peu plus détaillée, que trouvons-nous dans les structures de l’Union ? Un Parlement qui ne dispose pas du droit d’initiative et qui est surtout élu selon un principe fort éloigné de la règle d’une égale représentation des citoyens, à tel point que si les règles d’élection au Parlement européen devaient passer le test du contrôle de constitutionnalité français elles n’y survivraient pas.
Un exécutif bicéphale, dont les membres sont élus dans des circonscriptions (les états nationaux) de taille complètement hétéroclite, et dont le poids dans les décisions n’est pas directement lié au poids démographique – l’un des principes républicains les plus fondamentaux étant l’égalité entre citoyens.
Le pouvoir judiciaire de l’Union fait enfin part d’une créativité jurisprudentielle qui paraît fort peu compatible avec la tradition républicaine dans laquelle le juge se tient tenu aux limites de la loi.
Pour retenir que la structure de l’Union européenne n’est pas républicaine, il est également possible de recourir à certains auteurs, comme Ulrich Beck, défenseur d’un empire européen[1] : « la voie de l’Europe vers la démocratie ne peut pas être identique au concept de démocratie, à la voie démocratique suivie par les Etats-nations, qui lui sert de référence pour juger l’Union européenne », ou encore Jan Zieloncka[2].
La thèse d’une forme républicaine de l’Union européenne est donc difficilement défendable.
La France informe politiquement, entre république et empire. L'impuissance du juge constitutionnel
Il y a bien incompatibilité entre l’appartenance à l’Union européenne et maintien d’une forme républicaine de gouvernement. Si ce point est admis, il reste que le juge Constitutionnel ne s’en saisira pas. Il refuse en effet de contrôler la constitutionnalité des révisions de la Constitution, même dans le cadre d’une révision parlementaire[3].
Le texte cité de Bruno Genevois permet cependant de penser que le juge français pourrait rejeter l’application de textes sur le fondement de l’article 89, position qui serait donc applicable à des textes européens : « Tout en s'abstenant de contrôler la constitutionnalité de la loi, aussi bien la Cour de Cassation ([61]) que le Conseil d'Etat ([62]) ont de longue date vérifié l'existence matérielle comme l'existence juridique de la loi ou d'un texte ayant force de loi. Il y aurait là un moyen de prévenir une usurpation du pouvoir constituant. »
Autre cas envisageable, en dehors du revirement de jurisprudence, toujours possible mais douteux. Le Conseil Constitutionnel n’a pas estimé que les révisions constitutionnelles peuvent s’abstraire du respect de la Constitution, il s’est jugé incompétent pour faire respecter ces limites. En 2004, Damien Chamussy, chargé de mission au Conseil Constitutionnel, évoquait[4] à ce propos des « limites sans gardien » et renvoyait, pour faire respecter in fine quelques règles fondamentales, à la Cour européenne des droits de l’homme. Il pourrait être intéressant de tester la Cour sur sa sensibilité à des valeurs comme l’égalité devant la loi, la nécessaire égale représentativité des parlementaires européens (en termes démographiques)...
L'ère du vide juridique
Il reste, au terme de cette analyse très insuffisamment détaillée et certainement fautive en de nombreux points, que les institutions européennes rendent la situation constitutionnelle française très fragile au regard de l’article 89. La construction européenne est parvenue à un point d’incompatibilité absolue avec le maintien d’un gouvernement de forme républicaine. La malchance, pour les opposants à la dernière étape en date des « progrès » de l’Union européenne, est que personne n’est réellement compétent pour soulever ce problème.
[1] Pour un empire européen, ouvrage issu d’études financées partiellement par la Deutsche Forschungsgemeinschaft, fondation publique allemande pour la recherche. Ceci non pas pour crier au loup, mais pour souligner que la réflexion de Beck n’est pas celle d’un original isolé.
[3] Cf. pour le point de vue du Gouvernement en 2003 : http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2003/2003469/obs.htm , également un exposé de Bruno Genevois : http://www.conseil-constitutionnel.fr/dossier/quarante/notes/revision.htm