30 Septembre 2006
Un papier du Monde le 28 septembre. Toute l'horreur de la construction européenne se lit dans cet extrait :
"L'interdiction à l'avenir de toute mesure de régularisation massive ou des régularisations de plein droit ; la stricte limitation des mesures de régularisation à des situations humanitaires au cas par cas ; le respect du principe de proportionnalité entre le flux migratoire accueilli et les capacités d'accueil sur le marché du travail, le logement, les services publics ; le conditionnement du regroupement familial aux ressources d'un travail et à la possibilité de fournir à la famille d'accueil un logement suffisant ; le principe d'éloignement des migrants clandestins sauf cas humanitaire particulier."
La plupart des propositions s'inscrivent dans les orientations qui sont en discussion à Bruxelles depuis plusieurs années, mais elles les radicalisent en allant plus loin dans l'affirmation et l'organisation de la solidarité européenne.
En italique gras, ce sont les propositions de Sarkozy, en italique simple, c'est Le Monde.
Voilà, le paysage est campé, je décrypte et j'essaie de justifier pourquoi l'horreur et pourquoi l'UE :
1. Sarkozy refuse la générosité et veut que l'on compte, soupèse et mesure notre solidarité. Je ne suis pas complètement contre, certains de ses arguments se tiennent (l'Espagne se voit ainsi renvoyer, d'une certaine manière, la monnaie de sa pièce, car après avoir régularisé massivement, et face à un afflux de clandestins, elle est allée demander l'assistance de l'Union). Je crois que qui veut faire l'ange fait la bête : vouloir ouvrir grand les frontières me semble aussi absurde que de laisser les capitaux bouger librement sans taxe Tobin. Mais je ne peux exclure que parfois, des mesures de régularisation massives puissent s'imposer. Ce qui me choque donc, c'est que Sarkozy veuille légiférer pour toute l'Union et imposer des règles uniformes, dont la négociation prendrait des années (les allemands voulant accueillir des populations turques par exemple, la France étant plus favorable aux pays du maghreb, le Royaume-Uni au Commonwealth...)
Point 1 : une demande pas absurde sur le fond mais dont l'extension à l'ensemble de l'UE est totalement injustifiée ;
2. Sarko, d'après Le Monde, ne fait là que reprendre les orientations européennes, qui, sous couvert d'harmonisation, entendent s'asseoir sur les différences de traditions nationales ou de sensibilités politiques. Peut-être, et certainement, des représentants des Etats sont-ils partie à ces discussions diront les défenseurs de l'UE (ajoutant même que ce sont certainement les états qui sont responsables des mesures injustes, la Commission défendant des points de vue humanistes). Sur ce point, on en sait rien, et on touche là une perversion extraordinaire du fonctionnement européen : toutes ces discussions se passent dans l'obscurité la plus complète. Même si cela arrange les technocraties nationales, ce n'est pas une raison pour poursuivre ce système : sans drogue, pas de drogué ; sans technostructure européenne au dessus des technostructures nationales, un débat plus éclairé et on pourra travailler à un meilleur contrôle démocratique de nos administrations...
Point 2 : on découvre de temps en temps, le contenu de politiques européennes négociées dans le silence complet, dans des domaines où le commun des mortels s'imagine encore qu'il reste des compétences nationales.
3. dans la novlangue ouiste propre au journal Le Monde, cette abomination standardisatrice contre l'immigration (on parle bien de gens qui crèvent sur des pirogues au milieu de la Méditerranée ou tombent sur les pistes d'aéroport, échappés d'un train d'atterrissage) devient une marque de "solidarité européenne". Ce terme fait partie du langage standard de l'Union sur ce sujet :
Avis du Comité économique et social européen, le 27 octobre. Le Comité estime qu'il convient d'aller au-delà de la coopération administrative et de construire un système de solidarité communautaire dans les domaines des frontières extérieures, des visas, de l'asile et de l'immigration, dans le cadre d'une politique commune. (rechercher "immigration solidarité" sur Europa). |
Je suis obligé de constater qu'à aucun moment le journaliste ne remet en cause cet extraordinaire tour de passe-passe par lequel, alors que les méchants nonistes sont supposés être les ringards à la mentalité autoritaire et crypto-fasciste, des mesures de fermeture des frontières deviennent de la "solidarité" !
Point 3 : il y a une logomachie européenne qui n'est pas loin de ressembler à la novlangue orwellienne, dans laquelle "la guerre c'est la paix", et où ici c'est la "solidarité" des pays les plus riches de la planète contre les plus pauvres des pays en voie de développement. La solidarité des forts contre les faibles, il fallait oser !
Moralité : Qui se fout de qui ? Qui sont les pseudo-pétainistes ? Que peut penser un chroniqueur catholique d'une conception si étrange de la solidarité ? Où est la subsidiarité là dedans ? Pourquoi élisons-nous encore un président de la République si c'est pour lui enlever la faculté de réguler, comme l'entend le peuple qui l'a élu, les flux migratoires ?
Nous laissons grandir doucement un pouvoir incontrôlable, obscur, dans lequel journalistes et participants emploient le même langage codé et duquel peut sortir n'importe quoi, à l'improviste (cf. le rôle avoué de Jean Quatremer comme promoteur ardent de la pensée européenne - humainement, je reconnais à Quatremer un goût du débat, et un grand fair play puisqu'il a laissé passer un commentaire de ma part qui était plutôt vachard.)
Je me réjouis chaque jour du rejet du TCE en mai dernier, je me sens plus libre. Pas vous ?