La lettre volée

Notes et idées : Politique, Bandes dessinées, Polars, Media, Actualité, Europe...

Divagation

L'affaire de l'Union méditerranéenne est  passée à peu de choses près inaperçue.

La France a eu, l'espace d'un instant, l'idée qu'à côté de l'Union européenne, elle pouvait prétendre participer à une deuxième union d'états, avec ses voisins méditerranéens. Le projet excluait les pays non riverains de la Méditerranée, donc l'Allemagne, entre autres. Plus généralement, il s'agissait pour la France de construire autre chose, sans l'Union européenne.


L'Allemagne s'est fachée tout net, et Nicolas Sarkozy semble décidé à revenir sur son projet initial, pour accepter que participent à un machin supplémentaire les 27 pays de l'UE (encore que, il paraît caresser l'idée que seuls des pays riverains pourraient présider la structure à naître, encore indéfinie).

J'ai envie de revenir sur ce sujet, et d'exprimer le profond dégoût que je ressens après l'abandon de ce projet.

1. c'est un enjeu vital. Le Maghreb c'est bientôt 140 millions de francophones à quelques encablures de chez nous, avec les risques de troubles si le développement de ces pays échoue à comparer aux opportunités d'échanges mutuellement avantageux,

2. ce qui est fait actuellement pour le Maghreb et la Méditerranée, dans le cadre européen, est indigne : moins d'une dizaine de milliards d'euros pour les cinq années à venir, contre un financement du développement de l'Europe de l'Est d'environ 150 milliards d'euros pour 2007-2013.

3. La balance commerciale allemande est fortement excédentaire avec les pays d'Europe de l'Est et, de façon générale, les pays d'Europe de l'Est sont, pour l'Allemagne, un enjeu bien plus important que pour la France, pays méditerranéen.

4. Il y a donc une très forte logique à souhaiter renforcer de façon directe, sans passer par la moulinette bruxelloise, les liens entre la France et la Méditerranée. L'Union européenne n'est pas conçue pour cela et ne sera jamais efficace sur ce sujet, trop périphérique pour de trop nombreux pays membres.

5. Ce sont principalement les caprices allemands, qui ont vu là une atteinte au carcan européen, qui ont fait plier Nicolas Sarkozy, sous les applaudissements de  Jouyet et autres eurobéats. La Turquie aurait aussi vaguement protesté, car une entrée dans l'Union Méditerranéenne sauce initiale aurait pu lui être proposée en lieu et place d'une adhésion à l'Union européenne. Là encore, on est obligé de noter que l'intégration Turque dans l'UE intéresse bien plus l'Allemagne, qui accueille une forte communauté turque, que la France.

6. Voilà un preuve supplémentaire que l'Europe ne nous sert pas. Il est cependant devenu tabou de compter ce que l'Europe nous coûte, nous ne sommes tenus que de chanter les psaumes à la gloire des Pères fondateurs.

Bref, s'il y a bien un sujet sur lequel Sarkozy devrait être soutenu, c'est celui-ci.

Je pourrais m'arrêter là. Mais mes lectures actuelles, ma sensibilité, mon mauvais goût, ma mauvaise foi, bref, tout, me pousse à ajouter quelques idées déplacées :

1. il semble aujourd'hui admis que la culpabilité d'un homme puisse être très longue (période de rétention de sûreté etc...) En matière de culpabilité, une expiation de 20 ans semble à peine durer.

2. Une responsabilité pénale des personnes morales a été mise en place également, avec un casier judiciaire des personnes morales. Certaines collectivités ont un passé chargé et un casier judiciaire bien plein.

3. l'Allemagne, qui nous donne aujourd'hui des leçons d'Europe, nous regarde de haut et contraint notre politique étrangère dans ce qui n'en a pas encore été communautarisé, est un état qui, il y a 60 ans, faisait ceci :

Le 8 août 1941, une section du Sonderkommando , conduite par l'Obersturmführer SS August Häfner, arriva en ville. Entre le 8 et le 19 août, une compagnie de la Waffen SS attachée au Kommando exécuta tous les juifs de l'endroit-entre 800 et 900-, à l'exception d'un groupe d'enfants de moins de 5 ans. Ceux-ci furent abandonnés sans nourriture ni eau dans un bâtiment à la lisière de la ville, près des baraques de l'armée. Le 19 août, beaucoup furent évacués en camions et exécutés sur un champ de tir voisin ; 90 restèrent sur place, sous la garde d'une poignée d'Ukrainiens. Les hurlements de ces 90 enfants devinrent bientôt si insupportables que les soldats appelèrent deux aumôniers de campagne, un protestant et un catholique, pour leur administrer quelque « remède ». Les aumôniers découvrirent les enfants à moitié nus, couverts de mouches et gisant dans leurs excréments. Quelques-uns des plus âgés mangeaient le mortier des murs ; les plus petits étaient, pour la plupart, dans le coma. Alertés, les aumôniers de la division se rendirent sur place et firent un rapport au premier officier d'état-major de la division, le lieutenant-colonel Groscurth. Celui-ci alla inspecter le bâtiment. Là, il retrouva l'Oberscharführer Jäger, le chef de l'unité de la Waffen SS, qui avait assassiné les autres juifs de la ville ; Jäger lui expliqua que les enfants restants devaient être « éliminés ». Le colonel Riedl confirma l'information et ajouta que la question était entre les mains du SD et que l' Einsatzkommando avait reçu ses ordres des autorités suprêmes. Sur ce, Groscurth prit sur lui d'ordonner l'ajournement des tueries d'un jour, alors même que Häfner menaçait de déposer une plainte. Groscurth alla jusqu'à poster des soldats en armes autour d'un camion déjà rempli d'enfants pour l'empêcher de partir. Il fit part de toute l'affaire à l'officier d'état-major du groupe d'armée Sud, qui transmit à la VIe armée, probablement parce que l' Einsatzkommando agissait dans la région. Ce même soir, le commandant de la VIe armée, le maréchal Reichenau, décida personnellement que « l'opération [...] devait être achevée de manière convenable ».

Les enfants furent exécutés le 22 août. Lors de son procès, Häfner décrivit la dernière phase de l'opération : « Je suis allé seul dans les bois. La Wehrmacht y avait creusé une fosse. On y conduisit les enfants dans un tracteur. Les Ukrainiens se tenaient autour en tremblant. On descendit les enfants du tracteur pour les aligner au bord de la fosse et leur tirer dessus. Les Ukrainiens ne visèrent aucune partie du corps en particulier. [...] Les hurlements étaient indescriptibles. [...] Je me souviens notamment d'une petite fille blonde qui m'a pris la main. Elle aussi, elle a été ensuite exécutée. » Le lendemain, le capitaine Luley fit savoir au QG de la VIe armée que le travail était accompli et fut recommandé pour une promotion.  (Saul Friedländer, extrait de Les années d'extermination, in Le Point, n°1849)



Alors, certes, il ne faut pas renvoyer aux allemands systématiquement leur passé si peu glorieux. Certes, la France a aussi ses tâches et connu ses heures sombres. Certes, Nicolas Sarkozy est un président désordonné, brouillon, arrogant parfois. Mais il y a des jours où, face à une volonté systématique de réduire les initiatives françaises à rien, j'ai envie de dire à nos amis allemands, dans le patois de mon enfance : moins de gueule.





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E
Tu as raison Valéry : quel scandale, vouloir mettre une alliance avec les bronzés au même rang qu'un club white & christians only, quelle faute de goût. Finalement entre mon rapprochement peut-être exagéré et ton understatement, je ne sais ce qui est le plus vulgaire.
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V
Un nouveau point de Godwin pour edgar !Même de la part d'un militant nationaliste de votre espèce ce genre de post reste hallucinant.Quant à l'idée de renforcer la coopération euroméditérannéenne, très bien,l'erreur de Sarko, due au sinistre individu qui lui sert de conseiller, est d'avoir vendu l'initiative en mettant son machion au même plan que l'Union européenne.Tout le monde en Europe a mal pris cette initiative débile. Bon débarras.Il faut virer Guaino et vite. Un edgar à l'Elysée c'est inacceptable.
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G
Je ne suis pas en mesure de fournir de pointeurs sur des documents pour étayer mon affirmation, mais il me semble, effectivement, que le "Comité 133" est le lieu au sein duquel les états-membres de l'Union peuvent avoir à répondre des aides qu'ils décident unilatéralement d'accorder à un pays tiers (en voie de developpement ou non) au motif que ces aides compromettent l'engagement européen durable en faveur d'accords multilatéraux plutôt que classiquement bilatéraux (les membres du Comité 133 "prennent les mesures de défense contre les pratiques de commerce déloyales." au premier rang desquelles les aides d'état, implicitement)Quelques éléments à ce sujet, en jargon de diplomate :http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/europe_828/union-europeenne-monde_13399/politique-commerciale-exterieure_12993/index.html
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E
Alexandre, je te suis dans tous tes raisonnements, sauf un : si nous voulons augmenter notre aide vers le Maghreb nous n'en sommes apparemment plus libres puisque si cette aide prend une forme institutionnelle les allemands bloquent les relations bilatérales dans le cadre de l'UE. Alors que normalement les sujets n'ont rien à voir.On peut jouyetiser sur la question et estimer qu'il faut par priorité ne pas fâcher les allemands. Moi j'ai envie d'aller plus loin et de comprendre pourquoi ils sont prêts à bloquer l'UE sur un sujet qui ne les regarde pas a priori.
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A
Cette affaire montre surtout deux choses :- pour le gouvernement français, les relations avec l'Allemagne sont plus importantes que "l'enjeu majeur" du maghreb. Ce qui ne me semble pas un calcul irrationnel.- L'attitude allemande traduit surtout un agacement généralisé vis à vis d'un dirigeant qui refuse l'adhésion de la Turquie a l'UE mais veut se rapprocher de pays du maghreb pourtant bien plus contestables que la Turquie; d'un dirigeant qui reproche à la BCE une politique monétaire trop centrée sur l'inflation ET se plaint de l'inflation, qui prône le nationalisme à la maison mais pas chez les autres... Bref, il y a des façons plus ou moins polies et cohérentes de parler à ses partenaires. C'est peut-être mesquin de la part de l'Allemagne, mais si nous voulons augmenter notre aide vers le maghreb, rien ne nous en empêche; et si nous avons des choses à demander aux autres, on peut essayer d'avoir l'air intelligents. Parce qu'avoir l'air encore plus bêtes que les eurocrates, c'est un exploit.
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E
Laurent : tu as raison pour les liens du Monde. Mais il faut que je me déconnecte pour attraper le bon lien, c'est fatigant. Promis, je ne le ferai plus.
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L
Si on crée l'Europe en prétendant passer sur les identités des pays membres, cela ne peut évidemment déboucher que sur des guerres, pas sur une union harmonieuses et pacifique. Pour autant, je ne pense pas que le passé nazi de l'Allemagne constitue un argument valide pour protester contre sa politique étrangère actuelle. Ils sont en effet actuellement à peu au même niveau que nous au niveau démocratie : - pas vraiment irréprochable puisqu'ils n'ont pas eu droit à un référendum eux non plus.- pas tellement plus ouverts sur les besoins de leur population (cf l'attitude face à l'émergence du parti d'extrême gauche die Linke)- pas totalement tyrannique non plus. On peut critiquer le gouvernement allemand sans aller en prison.Tout ça pour dire que si on intervertissait nos dirigeants avec l'Allemagne, il n'y aurait pas beaucoup de différences avec ceux, passé nazi ou pas.Le problème Europe me parait de plux en plus être lié à une évolution voyant une classe inter-nationale gloablementcorrompue imposer un rapport de force qui lui est favorable et de moins en moins une question d'états s'unissant ou se tapant dessus. P.S. : les liens vers la version du monde pour les abonnés ne fonctionnent que pour les abonnés justement. Je m'en rends compte depuis que j'ai arrêté mon propre abonnement à la pensée unique de référence.
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E
Très chère Lucie,ce billet est celui que j'ai le plus difficilement mis en ligne - et pourtant dieu sait que j'en ai écrit des bêtises. Le fait que tu sois susceptible de le lire renforçait évidemment mes préventions.Pour autant, je n'en retirerais rien, pas une ligne. Dans les Mémoires de Jean Monnet, il relate des entretiens avec Adenauer je crois, où le chancelier allemand lui explique, à peine quelques années après l'horreur que l'on sait, qu'il faut l'europe pour canaliser le nationalisme allemand (qu'est-ce que cela prouve : rien, sinon que canaliser de mauvais instincts n'est pas les suppirmer). J'aimerais beaucoup qu'on cesse de crier partout au nationalisme chaque fois que la France prend une initiative et qu'on pardonne systématiquement son arrogance à l'Allemagne (j'ai encore en tête l'affreuse expression de "pays du club med", assez intolérable).Il ne s'agit pas, comme le voulait certain conseiller américain en 1945, de faire de l'Allemagne un champ de pommes de terres, ni de leur interdire toute expression. Mais comme Gus le souligne, la France est encore un état indépendant. Il se trouve malgré ce, qu'après confirmation de l'initiative Sarkozy, l'Allemagne a annulé ou reporté plusieurs rencontres au sommet avec la France, ouvrant par là une politique de la chaise vide comme la France avant le compromis de Luxembourg.Je crois que mon argument, peut-être disproportionné, est à la mesure à la fois de l'enjeu et de l'absence de débat sur un sujet majeur concernant l'Union européenne. Si c'est un futur état unitaire, alors la réaction de l'allemagne est légitime : on ne peut pas être membre de deux états à la fois. Sauf que pas grand monde n'assume publiquement cette orientation, ce qui est contraire au règle démocratique.Si l'Union est autre chose qu'un état unitaire, et si on s'en tient à ce dont a informé les français, la France est encore un état indépendant susceptible de prendre des initiatives en matière de politique étrangère.Il s'agit donc d'une question profonde, qu'on ne peut oublier parce que l'Allemagne risque de bouder.Sur la culpabilité collective, je trouve ceci "Jaspers évoque l’idée audacieuse d’une responsabilité de l’Allemand à l’égard du passé des Allemands", sur le résumé du livre La culpabilité allemande, sur le site des éditions de Minuit.Lorsque Sarkozy s'exprime en Afrique, chacun est attentif à ce qu'il n'y ait pas, de la part de la France, de relents trop colonialistes dans le discours. Et l'on s'indigne à juste titre de la bêtise de son discours sur le paysan africain.Lorsque l'Allemagne prétend s'opposer à la coopération entre la France et des pays en voie de développement, elle doit être attentive à ne pas sembler considérer que certains pays ne méritent pas que l'on s'attarde sur leur sort.Il ne s'agit en aucun cas de considérer que les allemands, individuellement, sont coupables de quoi que ce soit, ce qui serait absurde. Il s'agit de rappeler que les officiels allemands, lorsqu'ils expriment une position collective, ont, à mon avis, pour longtemps encore, un devoir particulier de clarté absolue dans leur expression, et d'attention toute particulière à l'unité du genre humain, pour faire vite.Jankelevitch a refusé de parler allemand après la guerre, un français dont j'ai oublié le nom vient de refuser une médaille allemande parce qu'il a perdu sa mère dans la deuxième guerre mondiale, tu ne peux pas empêcher, parce que nous sommes humains, que la mémoire collective dure longtemps.Et parce que c'est un fait, l'Allemagne, dans son propre intérêt, se doit, non pas de plier aux caprices de Nicolas Sarkozy systématiquement, mais d'être encore plus fine, subtile, posée que nombre d'autres pays.Je suis en partie convaincu que cette histoire d'Union européenne, dans laquelle nous sommes empêtrés, est le fruit d'un réglement incomplet, inachevé, hâtif, de la deuxième guerre mondiale. S'il faut revenir là pour dénouer cette situation, sans doute y a t-il matière à débattre.Voilà. Quelques idées décousues, inachevées, incomplètes, maladroites, mais que, au jour d'aujourd'hui, je crois justes.Tu as peut être bien plus réfléchi sur ce sujet que je n'ai pu le faire, mais sache, en tout cas, que je n'ai pas fait ce lien à la légère, ni avec la volonté de blesser individuellement, mais avec la conviction que ce que nous sommes nous dépasse souvent, et que nous avons, chacun, des identités à la fois individuelles, mais aussi collectives, à assumer.Jeter nos vieilles identités nationales en décidant que nous sommes tous européens, donc blanchis à neuf (et cela ne vaut pas que pour le nazisme, il y a également la colonisation par exemple), relèverait de la plus grande naïveté.J'espère, non pas t'avoir convaincue de la justesse de mon argumentation, simplement d'avoir fait passer le sentiment qu'il ne s'agit pas là de propos inconsidérés. Peut être cela te convaincra-t-il de la nécessité de les rejeter encore plus violemment, je ne l'espère vraiment pas.Bises.
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L
Edgar, j’ai beau ne pas te suivre sur la plupart de tes points de vue sur l’Europe, j’ai de l’estime pour l’intelligence et l’honnêteté intellectuelle avec lesquelles tu les exposes. C’est pourquoi, et peut-être aussi parce qu’on partage un même patois d’enfance, que je suis déçue, voire choquée par le dernier point de ton argumentaire, au demeurant plutôt convaincant. Réfuter la démarche politique d’un pays aujourd’hui démocratiquement irréprochable par un récit, évidemment insoutenable, relatant des faits vieux de 60 ans est bas, totalement hors de propos et, pour tout dire, assez dégueulasse.Voilà, c’est dit, et j’aimerai seulement que ta répulsion envers l’Europe ne t'égare plus auprès de procédés aussi « petits ». Tu es bien meilleur quand tu t’adresses au cerveau de tes lecteurs ;-) (Bisous à ta tribu ^^)
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J
Le projet d'Union méditerranéenne, lancée par Nicolas Sarkozyne visait pas une union entre nations souveraines mais une structure néo-colonialiste, un remake de "françafrique" où le capital  financier hexagonal pourrait s'investir. L'Allemagne y a vu une tentative de contourner son influence et a dit NON. Il s'agit de gesticulations d'une pseudo indépendance française. Les initiatives de Nicolas Sarkozy sont issues des desseins du Medef. Pas plus.Enfin, ce sont mes idées !Amitiés.JLhttp://canempechepasnicolas.over-blog.com et son édito quotidien.Voir en pièce jointe.
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