La lettre volée

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Question à Domaguil sur le droit de grève en Europe

J'avais beaucoup apprécié l'article d'Alain Supiot dans Le Monde, qui relevait  les fondements philosophiques peu réjouissants des arrêts Viking et Laval, commentés chez vous.

Il s'agit, ni plus ni moins, pour l'Europe (même si les textes constitutionnels ne l'y obligent pas, je vous concède ce point rapidement), de détricoter encore un peu plus les droits syndicaux.

L'article ayant  bien plu à un blogueur ouiste - ou son assentiment est-il ironique ? ou devient-il noniste ? -, j'ai tendance à penser que M. Supiot est compétent.

Or, M? Supiot écrit que le juge européen s'est prononcé sur la légitimité d'une grève lors même que le droit européen exclut le droit de grève des compétences communautaires.

Comme MM. Quatremer, Valéry, vous-même et de nombreux bons esprits tentent de me persuader que jamais les institutions européennes ne cherchent à acquérir des compétences contre les états, en dehors de celles que leur attribuent les textes, je m'étonne.

Je m'étonne par ailleurs que ce point, s'il est exact, n'ait pas été plus commenté.

Est-il donc exact que le juge communautaire se soit prononcé contre le droit de grève dans deux cas particuliers alors qu'il n'en a pas la compétence ?

D'avance, merci à vous ou à tout autre lecteur compétent ...




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E
Explication assez détaillée, merci.Le vide juridique existe dans d'autres domaines comme il est souligné dans le papier de D. Chamussy à propos de l'article 89 de la constitution : quand bien même l'Union attenterait à la forme républicaine de notre gouvernement, il n'y a personne pour le faire valoir, le Conseil constit ne peut se saisir de ce point.La CJE aurait très bien pu ne pas se saisir. Elle est donc quand même dans une logique où la compétence de l'Union tend à être reconnue sur tous les sujets. Il se trouve qu'elle a choisi de se reconnaître compétente sur un sujet où les syndicats ont perdu.Et dans l'affaire des bateaux, la reconnaissance des pavillons de complaisance met fort peu en valeur les aspects censément sociaux du traité dirait-on.Bref, Supiot n'a pas fait dans la dentelle, mais ce n'était pas son sujet puisqu'il souhaitait explquer que l'Union retient à peu près le pire de deux modèles : le libéralisme et le communisme. C'était à la fois original et convaincant dans le fond, même si les détails étaient parfois rapidement traités - je reviendrai pour ma part sur Hayek...
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D
Edgar,Votre question est : « Est-il donc exact que le juge communautaire se soit prononcé contre le droit de grève dans deux cas particuliers alors qu'il n'en a pas la compétence ? »La Cour a répondu à cette objection (arrêt Viking) en estimant que ni le fait que le droit de grève ou d’action syndicale échappent à la compétence communautaire, ni celui qu’il  s’agit de droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect, ne signifient que leur exercice soit affranchi du respect du droit communautaire  (considérants 40 à 47).Ce qui peut se défendre pour la raison suivante : la Cour est compétente pour se prononcer sur l’exercice de la liberté d’établissement et de prestations de services. Si celle-ci est confrontée au droit syndical, la Cour par conséquent doit examiner comment s’exerce  ce droit dans ce contexte. Et c’est bien le propos des deux arrêts Viking et Laval.M.Supiot semble découvrir que le droit communautaire peut se « heurter » à d’autres droits (national, mais aussi international : conventions OIT). C’est un peu étrange, car c’est un fait bien connu au moins depuis …1964 (arrêt Costa c.Enel qui affirma la primauté du droit communautaire).  J’irai plus loin : le droit communautaire peut se heurter aussi…au droit communautaire ! Je m’explique : à droite nous avons la liberté d’établissement et de prestations de services résultant des traités, et à gauche le droit de gréve et d’action  syndicale qui sont des droits fondamentaux reconnus par la jurisprudence de la Cour et de surcroît à présent par la Charte des droits fondamentaux qui aura valeur contraignante si le traité de Lisbonne est ratifié. La Cour doit donc mettre en balance deux principes contradictoires (c’est pourquoi dans MON article du 20-12-2007, je parle de « délicate conciliation du droit syndical et des liberté d’établissement et de prestation de services »). C’est le même dilemme qui se pose au plan français quand on confronte deux principes constitutionnels contradictoires, à savoir la continuité du service public et le droit de grève (d’où la controverse sur le service minimum).Donc, la Cour est-elle hors de sa compétence ? Oui, selon que l’on pose comme postula que le fait le droit de grève soit régi par les lois nationales  exclue de facti et sans appel que la Cour puisse avoir à traiter de la question quelque soit le contexte et quitte à l'empêcher de juger. Non, si  l’on observe que la liberté d’établissement et de prestations de services est en cause et que si la Cour ne se prononce pas, il y a un vide juridique puisqu’elle seule est compétente pour interpréter le droit communautaire. Désolée d’être aussi « nuancée », je sais que ce n’est pas le genre de ce blog, mais il arrive que la réponse à une question ne soit pas tranchée. Comme l’écrit Gus, il faudra voir ce que sont les développements de cette jurisprudence. Donc, moi, j’attends la suite. Mais si j’avais à défendre des syndicats, je ne serai pas sans arguments sur le fondement même de cette jurisprudence. Je mettrai en avant le fait que la protection des travailleurs est un objectif impérieux d’intérêt général reconnu et assuré par le droit communautaire, je mettrai en avant que la Cour a reconnu le blocus comme moyen d’action collective (ce que ne fait pas le droit français : c’est bizarre mais M.Supiot n’en souffle mot) , je rappellerai le considérant de la Cour selon lequel la Communauté a « non seulement une finalité économique mais également une finalité sociale »,etc…Mais encore une fois, il faudra voir comment cette jurisprudence se développe. Et il est vrai que les syndicats ont des inquiétudes comme je le signale dans mon article, car je ne présente pas une analyse unilatérale des arrêts comme le fait M.Supiot (vous aurez remarqué, je pense qu’il est publié dans la rubrique : « point de vue »). Pour ma part, je présente le raisonnement de la Cour mais  aussi l’opinion des syndicats et le pourquoi de leurs craintes. Une dernière  remarque sur l’article de M.Supiot : j’ai remarqué qu’il fait des amalgames. Par exemple, il écrit : « L'arrêt Laval interdit aux syndicats d'agir contre les entreprises qui refusent d'appliquer à leurs salariés détachés dans un autre pays les conventions collectives applicables dans ce pays». Cela semble sous entendre qu’aucune  convention collective applicable dans un état n’est opposables aux entreprises étrangères y détachant des travailleurs. C’est faux : la Cour dit le contraire (considérant 74  de la décision : les entreprises doivent respecter dans l’Etat d’accueil  « les conditions de travail et d’emploi fixées, dans l’État membre d’accueil, par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives ou par des conventions collectives ou des sentences arbitrales…»). Ce qui a posé problème dans l’affaire Laval c’est que la convention collective en cause était sectorielle et que les moyens de négociation salariale appliqués à ce titre ne permettaient pas aux entreprises étrangères de savoir à quoi s’attendre, ce qui les mettait dans une position désavantageuse par rapport à leurs concurrents suédoises et créait une discrimination à leur encontre (considérants 83, 84, 110 de la décision de la Cour) . Si la Suède avait traduit dans une loi ou dans une convention d’application nationale le niveau de salaire minimal l’arrêt de la Cour (à supposer qu’elle ait été saisie) n’aurait pu que constater que l’entreprise étrangère lettone devait appliquer la loi suédoise .Pour ceux que cela intéresse, références des arrêts et liens:CJCE, 11/12/2007, aff. C-438/05 , The International Transport Workers' Federation & The Finnish Seamen"s Union / Viking Line ABP & OÜ Viking Line Eesti), http://curia.europa.eu/jurisp/cgi-bin/form.pl?lang=fr&newform=newform&jurcdj=jurcdj&alldocrec=alldocrec&docj=docj&docor=docor&docop=docop&docav=docav&docsom=docsom&docinf=docinf&alldocnorec=alldocnorec&docnoj=docnoj&docnoor=docnoor&typeord=ALLTYP&allcommjo=allcommjo&affint=affint&affclose=affclose&numaff=C-438-05&ddatefs=11&mdatefs=12&ydatefs=2007&ddatefe=11&mdatefe=12&ydatefe=2007&nomusuel=&domaine=&mots=&resmax=100&Submit=RechercherCJCE, 18/12/2007 , aff. C-341/05 , Laval un Partneri Ltd / Svenska Byggnadsarbetareförbundet e.a. http://curia.europa.eu/jurisp/cgi-bin/form.pl?lang=fr&newform=newform&jurcdj=jurcdj&alldocrec=alldocrec&docj=docj&docor=docor&docop=docop&docav=docav&docsom=docsom&docinf=docinf&alldocnorec=alldocnorec&docnoj=docnoj&docnoor=docnoor&typeord=ALLTYP&allcommjo=allcommjo&affint=affint&affclose=affclose&numaff=C-341-05&ddatefs=&mdatefs=&ydatefs=&ddatefe=&mdatefe=&ydatefe=&nomusuel=&domaine=&mots=&resmax=100&Submit=Rechercher         
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G
Edgar, je puis d'ores et déjà vous signaler que les entreprises spécialisées dans les services agricoles et la petite messagerie analysent cet arrêt comme le moyen pour elles de proposer leurs services dans toute l'Union selon les conventions avantageuses de la directive relative sans pour autant craindre les conséquences économiques de l'action syndicale.Le temps se chargera donc de lui-même de révéler l'exacte portée de cette jurisprudence : maintenant que les élus français ont choisi de signer à quatre mains pour l'europe, rien n'est plus réellement pressé.
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E
Moi aussi je suis profession libérale, je sais ce que c'est. Tous les nonistes ne sont pas éleveurs de chèvres...bon courage, et nous attendons le résultat du match Domaguil / Supiot avec impatience...
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D
Edgar,J'ai commenté les arrêts en question sur mon site à cette adressehttp://www.eurogersinfo.com/actu5507.htmet indiqué les points de nature à inquiéter les syndicats. Quant à l'article que vous citez, je vais le lire et vous dirai s'il m'inspire d'autres commentaires.Je repars au travail, là (prof libérale oblige, des horaires anarchiques) donc, je n'ai pas le temps de faire un commentaire plus long.
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