La lettre volée

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La Russie limite les ambitions hégémoniques de l’OTAN

L'article qui suit n'est pas de moi, mais de Pierre Charasse. L'auteur, ambassadeur de France à la retraite, l'a publié dans La Jornada, quotidien mexicain. On peut trouver la version originale ici. M. Charasse avait copié cette traduction en commentaire d'un billet précédent (La fin de la dissuasion), j'ai jugé qu'elle méritait une meilleure exposition. L'article permet notamment de comprendre que face à la volonté américaine de faire de l'OTAN l'instrument d'une tutelle américaine sur le monde, il y eu à Lisbonne deux réactions. Les européens, qui se sont empressés de manifester leur servilité, et les russes qui ont subordonné leur participation à un contrôle de l'OTAN par l'ONU. Où l'on voit, par petites touches, que l'Union européenne ce n'est pas la paix, ce sont les guerres présentes et futures au service de l'OTAN. Bonne lecture.

 

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Depuis le fin de la guerre froide et après la dissolution du Pacte de Varsovie, l’OTAN, forte de sa victoire idéologique, s’est élargie en incorporant les pays d’Europe de l’Est anciens alliés de l’URSS et en intervenant en dehors des zones définies par le Traité de l’Atlantique Nord (Afghanistan, Méditerrannée orientale, Iraq, Soudan, Somalie). Dans le nouveau contexte post-guerre froide et post-attentats du 11 septembre 2001, les chefs d’Etat des vingt huit pays membres réunis au Sommet de Lisbonne (19-20 novembre) ont défini un « nouveau concept stratégique » pour la période 2010-2020 et abordé deux points délicats : le retrait des troupes d’Afghanistan et le bouclier anti-missiles que les Etats-Unis veulent déployer en Europe. 

Le « nouveau concept stratégique » approuvé par les chefs d’Etat reflète l ‘ambition de l’OTAN de renforcer la vocation mondiale de l’organisation politico-militaire de l’Occident au nom de « valeurs universelles », y compris dans des domaines qui ne relèvent pas directement de la sécurité, comme la gouvernance des Etats-faillis. Partant d’un catalogue élargi de menaces réelles ou supposées, l’OTAN a officialisé le principe selon lequel la sécurité de ses membres dépendait désormais de situations extérieures à la zone euro-atlantique telle que définie par le traité de 1949. Il ressort clairement que pour elle la sécurité du monde passe avant tout par la sécurité de l’Occident et en premier lieu celle des Etats-Unis. L’OTAN s’arroge désormais le droit d’intervenir dans le monde « où et quand la sécurité de ses membres l’exige ». Elle considère qu’il faut abolir les anciennes divisions entre sécurité intérieure et extérieure, entre menaces conventionnelles et menaces non-conventionnelles, maintenir une capacité nucléaire « suffisante ». Considérant que les menaces conventionnelles sur l’espace euro-atlantique étaient aujourd’hui très faibles, elle a décidé de se réorganiser pour réagir rapidement, éventuellement par des actions préventives, à tout ce qui peut menacer le bloc occidental, le terrorisme, bien sûr, mais aussi l’insécurité des sources d’approvisionnement énergétiques et des routes maritimes, les « cyberattaques » contre les systèmes informatisés des pays occidentaux ou leurs « infrastructures vitales ». Mais l’OTAN va plus loin en demandant à ses membres de renforcer leur capacité collective de lancer des « opérations expéditionnaires » n’importe où dans le monde, y compris des actions de « contre-insurgence » et de se doter d’un commandement unique qui pourrait agir sans avoir besoin du consensus de tous ses membres. Dans la liste des « nouvelles menaces », l’OTAN inclut les conséquences du changement climatique, la raréfaction de l’eau, les risques sanitaires. Elle compte sur des partenariats avec des pays non-membres pour agir comme « prestataires de sécurité » sur des théâtres éloignés. 

En pleine crise financière et budgétaire, les Etats-Unis ont réussi à imposer à leurs alliés une participation accrue aux dépenses de l’OTAN y compris le financement du bouclier anti-missiles américain (1000 milliards de dollars), alors que dans plusieurs pays la fin de la guerre froide s’était traduite par une baisse des budgets militaires. Même la France, jadis si jalouse de son indépendance, s’est dite prête à participer l’effort budgétaire pour financer in fine l’industrie américaine de l’armement. L’Union Européenne a ainsi enterré définitivement toute possibilité d’avoir une défense autonome s’en remettant pour sa sécurité aux décisions américaines.

La réunion de Lisbonne comportait aussi un Sommet Russie-OTAN. Celui-ci a permis au président Medvedev, fidèle à la grande tradition diplomatique du Kremlin, de faire un retour spectaculaire dans le débat mondial sur la sécurité et de modérer le triomphalisme occidental tout en se positionnant comme un partenaire incontournable. Lors de la guerre déclenchée par la Géorgie en août 2008 (encouragée par Washington), la Russie avait réagi fortement et marqué la « ligne rouge » que l’Occident ne pouvait pas franchir, infligeant une cuisante défaite à la Géorgie. L’OTAN a compris à ses dépens que l’on ne pouvait plus traiter le Russie en partenaire mineur. En réactivant son partenariat avec l’OTAN la Russie se met en position de force pour exiger des occidentaux qu’ils modèrent leurs ambitions mondialistes.

Le président Medvedev a clairement posé ses conditions : l’OTAN n’est pas le gendarme du monde, ses interventions doivent être validées par le Conseil de sécurité des Nations Unie (où la Russie et la Chine ont un droit de veto). La Russie accepte de coopérer sur le projet de bouclier anti-missile, à conditions qu’il ne permette que l’interception de missiles de courte et moyenne portée et qu’il ne soit tourné ni contre elle, naturellement, ni contre aucun pays en particulier. Or les experts occidentaux ont clairement défini l’Iran comme la principale cible du projet et pensent qu’il faut rester vigilant à l’égard de la Russie. Moscou a suspendu l’application des accords START (limitation des arsenaux nucléaires) et FCE (Forces conventionnelles en Europe) bloqués par le Congrès, en attendant que les américains, qui posent toujours de nouvelles conditions, honorent leurs engagements. Et pour donner des preuves de ses bonnes dispositions, la Russie s’est dite prête à renforcer sa coopération avec l’OTAN sur l’Afghanistan pour permettre le transit de certains types d’armes sur son territoire, notamment en vue du retrait des troupes occidentales. L’OTAN ne maîtrise plus totalement la route Kabul-Karachi, seule voie possible pour le transit du matériel lourd. Quelle humiliation pour l’Occident de devoir compter sur le bon vouloir de la Russie pour mettre en œuvre un retrait sans gloire ni victoire, en évitant d’avoir à affronter des combattants afghans et pakistanais redoutablement efficaces!

  L’OTAN, submergée dans la crise budgétaire et enfoncée dans le bourbier afghan, prétend encore vouloir étendre son champ d’intervention dans le monde entier malgré ses échecs. Vis à vis de ses partenaires européens, l’emprise de Washington est renforcée : ils appuieront et financeront le déploiement sur le sol européen d’un bouclier anti-missiles qui restera entièrement sous contrôle américain. Mais les russes ont rappelé aux Etats-Unis que face aux nouveaux défis du XXIème siècle, ils ne seront pas seuls à définir les règles du jeu.

 

Pierre Charasse.

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