20 Novembre 2008
Un article mardi de Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart, dans le Financial Times. Rogoff est prof d'économie à Harvard et pas spécialement fantaisiste (il a critiqué Stiglitz qu'il trouvait trop virulent dans ses attaques anti-FMI).
Bref. Rogoff et Reinhart plaident pour une régulation internationale, gérée par un organisme indépendant des gouvernements. Sans cela, les bonnes intentions du G20 resteront lettre morte. Pour les deux auteurs, l'organisme indépendant à ompétence mondiale serait plus efficace que des agences nationales, trop liées à leurs gouvernements et soucieuses d'épargner leurs "champions nationaux". Plus efficace aussi que les négociations multilatérales du Comité de Bâle.
Je trouve cela intéressant et positif, et, par contraste, je trouve aussi que cela souligne l'imbécilité du carcan européen.
Pourquoi ?
L'idée européenne, notamment chez les européens de gauche, est de dire "soyons organisés en Europe, et nous pèserons ensuite sur les Etats-Unis pour qu'à leur tour ils deviennent raisonnables".
C'est d'abord idiot parce que les 27 n'ont pas plus de vision commune d'une bonne régulation que nous n'en avons avec les canadiens, les coréens ou le Brésil...
J'entendais ce matin Martine Aubry expliquer que sa priorité serait d'aller voir les partis européens pour prévoir une politique commune "de gauche", quelle imposture ! Elle avançait que cela permettrait de revendiquer des services publics européens, dont je suis persuadé que les travaillistes, le PSOE et le SPD n'ont, à des degrés divers, que faire. Mais laissons Aubry.
Donc, l'organisation en Europe n'est pas pour demain.
Ensuite, quand bien même l'Europe serait organisée, dans les divers domaines d'ailleurs, pas seulement financier ; mettons en 2200, on aura construit un état de plus, sans avoir fait un pas vers l'internationalisme qui est un idéal de gauche. Comme l'écrivent Rogoff et Reinhart, cet état européen aura, lui aussi, à coeur de ne pas trop réguler, de peur de faire de la peine à ses "champions nationaux".
Il faut bien avoir en tête, pour tous les songe-creux qui s'imaginent que l'Europe est ouverte et internationale parce que plus large que la France : créer un égoïsme national européen n'est en rien moralement supérieur à la défense des égoïsmes nationaux actuels. Ben oui, ce qui est beau, c'est le dépassement de soi, mais rien ne garantit que l'Europe à 27 aura plus envie de se dépasser elle-même que les Etats-Unis, par exemple. Surtout si, pour se constituer, elle a dû se battre pour araser tout particularisme.
Donc, gagnons du temps. Que la France défende un projet de régulation internationale ambitieux, qu'elle s'assoie sur toute idée de coordination européenne en la matière, totalement inutile, et pousse, avec ceux qui le voudront, dans un sens réellement international.
Il y a fort à parier qu'en abandonnant l'unité européenne et le soutien indéfectible du Luxembourg qui va avec (pardon Emilion...), la France trouvera des alliés ailleurs. L'article de Rogoff montre qu'on peut trouver des alliés de poids aux Etats-Unis même...
Ceci doit être la bonne attitude pour une politique réellement internationale, pas l'ersatz européen qui nous est vendu. L'Europe aujourd'hui nous obstrue la pensée et prétend nous servir de politique tout à la fois nationale (soyons européens) et internationale (construire l'Europe c'est construire un monde européen).
C'est une assertion fallacieuse, dangereuse, et disons-le, dépassée. Soyons internationalistes et pas européens, cela remettra la gauche sur ses rails originels.