La lettre volée

Notes et idées : Politique, Bandes dessinées, Polars, Media, Actualité, Europe...

L'Europe que moi je...


Personnellement je n'ai rien contre Jean-Pierre Jouyet. Bon, un haut fonctionnaire étiqueté à gauche qui participe à un gouvernement de droite, certes, ce n'est pas grandiose. Mais pourquoi ne pas lui laisser une chance ?

A ma connaissance c'est un Inspecteur des finances qui a fait une carrière brillante, terminant à la banque Barclays à la Direction du Trésor sous la gauche. Le genre de technocrate premier de la classe, qui ne fait pas trop de vague, gentil et catholique, transcourant, transclivages, raisonnable à mort. Assez évidemment, c'est un bon européen, qui a donc été nommé par Sarko pour, sous la houlette de Kouchner, nous rendre un peu plus européens.

Le voilà qui sort de l'ombre en publiant un blog, Vues d'Europe :

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L'occasion d'une promenade.

Esthétique d'abord : il plane ! Comme nombre de hauts fonctionnaires qui en ont longtemps bavé dans l'obscurité, l'arrivée à un poste de grand chef médiatique le remplit visiblement d'aise. Une sorte d'assomption qui console de l'arrivée de la soixantaine. Du bleu donc, marial, catholique, euroïque, un peu comme Désirs d'Avenir en son temps, ou comme le site de l'Elysée, sans drapeau.


Et des Europen, Europa, Europpa, Europaban en veux-tu en voilà. Ca me fait penser à toutes ces émissions de propagande européenne sur France Inter, où chaque journaliste étranger dit un petit bonjour  dans sa langue natale, où l'on entend des tas de mots dans plein de langues, en fond sonore,  pour, lorsque se termine le générique, jacter en bon franchouille - comme si l'Europe était, pour tous, d'un accès immédiat. Chacun sait pourtant combien cette immédiateté est factice.


Vues d'Europe n'échappe pas à cette mise en scène d'une Europe délirée,  mixte de Babel et d'Eden, en laquelle se résolvent toutes les contradictions :


Ma journée d'hier a une nouvelle fois été un concentré de notre nouvelle Europe : sommet franco-espagnol le matin où j'ai retrouvé Alberto Navarro, rencontre avec le ministre des affaires étrangères roumain, Adrian Cioroianu, le soir.

Les esprits chagrins, on le sait, sont convaincus que cette Europe à 27 ne peut pas fonctionner. Que la diversité est facteur de blocage et que les décisions de l'Union à 27 se résument au "plus petit commun dénominateur" entre ses membres. Et si ce point de vue n'était finalement pas le bon ? Ma journée d'hier me convainc en effet du contraire.

Incroyable : un ministre français ressort vivant après avoir rencontré des trucs aussi exotiques qu'un Roumain et un espagnol. Trop fort ! C'est la preuve de l'Europe !

Je plaisante, le ministre a de vrais arguments. Il a échangé avec ses homologues :

Sur des questions aussi difficiles que la Turquie ou le Kosovo, les points de vue nationaux restent très différents. Néanmoins, les Européens se rejoignent dans la conviction que l'unité européenne est indispensable sur ces grands sujets. Plus encore, la sensibilité particulière de chaque Etat membre peut contribuer à l'émergence, au fil des discussions entre partenaires de l'Union, d'une position commune prudente et raisonné.
La division est dans le national, l'Europe c'est l'unité. Car voyez-vous, l'Europe c'est la raison, c'est même la Raison :
La confrontation de ces points de vue, jamais réellement inconciliables, permet l'émergence de positions communautaires équilibrées, raisonnables, en un mot de bon sens.

Jouyet vit dans un monde où tous les gens raisonnables veulent bien se donner la main, pour qu'elle se teigne en bleu Europe. Seul problème, le monde est moins concon que ce que peuvent en penser les gentils garçons. Jouyet le sait, il y a bien les serbes qui le chagrinent par exemple. Là, je fais un apparté pour ceux qui ont lu le billet de Jouyet et n'auront rien lu à ce sujet : les serbes sont aussi attachés, sinon plus, à leurs bonnes relations avec la Russie, qu'à leurs relations avec l'Union européenne. Pour lui, rien à faire, l'Europe par dessus tout :

l’Union européenne doit plus que jamais  montrer aux Serbes qu’elle est prête à leur garantir l’avenir européen auquel ils aspirent. [...] L’avenir des Balkans est dans l’Union européenne. C’est en permettant à la Serbie de suivre résolument ce chemin que nous pourrons libérer les formidables potentialités, humaines, économiques et culturelles de ce pays.

Que les Serbes se le tiennent pour dit : leur avenir est européen, qu'ils le veuillent ou non. Et les troupes européennes sont efficaces à mater les rebelles : elles ont été entraînées en France.

Sur la démocratie justement, Jouyet fait preuve d'une étrange conception. Un billet sur le passage du TCE en force, par voie parlementaire, est un festival d'à-peu-près :

- Sarko ne ferait que tenir sa promesse de ne pas faire de référendum (oui, mais c'était pour un traité simplifié, pas pour le même que celui qui a été rejeté),

- Les allemands ne font pas de référendum, ils sont pourtant démocrates (certes, mais ils ne vont pas jusqu'à s'asseoir sur les résultats de leurs élections, sauf, peut-être, en 1933...),

- "Devrions-nous rejouer le mauvais film de 2005 quand, pour de nombreux motifs n’ayant rien à voir avec le texte constitutionnel, le non français a mis fin à l’espoir d’un traité améliorant le fonctionnement de l’Union ?" (les français sont des imbéciles qui ne savent pas pourquoi ils votent. Euh... Sommes-nous certains que les parlementaires vont voter comme le leur demande Sarko, pour de bonnes raisons ?).

Le pire argument, le plus foutraque et satisfait à la fois :

"La ratification parlementaire est aussi en parfaite cohérence avec le traité lui-même qui donnera un rôle plus important aux parlements nationaux dans le processus de décision. Tant mieux si les parlementaires y sont associés dès maintenant."


Comme si les parlementaires français avaient besoin d'être informés de l'existence de l'Union européenne !


Il faut un sacré culot, une assurance extraordinaire pour prendre les gens pour des billes avec une telle constance. M. le Ministre a ce qu'il faut. L'Europe c'est chez lui, et merde aux grincheux qui s'y sentent sans repères :

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On pourrait croire que le ministre a la grosse tête... Point du tout. C'est un martyr de la cause européenne, il s'est fait violence pour cette nouvelle incarnation de la Raison dans l'histoire qu'est l'Europe :

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Quelle bonté d'âme ! Avant lui il y en a un autre qui avait fait don de sa personne à la France pour faire une Europe nouvelle... Le sacrifice est à la mode en ce moment. Généralement on le loue pour sacrifier un tiers...

Bon. Intéressant et effrayant voyage en Europie que ce blog ministériel. Qu'on se le dise, rien ne résistera aux vagues européennes... J'allais écrire "armées" ; ce ne sera peut-être pas toujours une image...
























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O
Edgar :Pour une fois qu'il a pu marquer un point contre moi, laisse-lui pour une fois ce plaisir...
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E
tu devrais pas publier des commentaires à 4h du mat Valéry, c'est encore plus plat que d'habitude.
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V
C'est vrai que vu ce que tu écris ici il vaut mieux que ce blog reste anonyme. C'ets plus facile pour se lacher et raconter n'improte quoi sur des sujets pourtant importants.
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O
Oui, Edgar - ne m'en veux pas trop de ce commentaire particulièrement idiot... tant dans sa formulation que sur le fond.(je voulais dire... enfin... non j'ai seulement oublié de me taire).
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E
Tu as raison, il n' a qu'à se tenir un peu. Si mon blog n'était pas anonyme, il y a des raccourcis que je ne permettrais pas !
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A
Edgar,Je vois bien qu'il était très en colère, je trouve toutefois son commentaire très mauvais (émanant d'un universitaire qui plus est).Peut être ai-je été sévére. J'ai effectivement du mal à supporter les procédés d'une certaine classe médiatique et politique et sa façon de refuser non seulement un référendum mais même tout débat sur l'UE. Mais ce qui m'a fait réagir, c'est que les "démocrates de l'UE" viennent, de surcroît, nous faire la morale. Je trouve cela indécent...  On peut attendre au minimum une certaine pudeur.
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E
Olyvier : je ne pourrais pas lui en vouloir d'être "fils de communistes", c'est aussi mon cas !Antoine : tu es sévère avec Reynié. Peut-être est-il militant sur son blog et précis dans son enseignement ? Il est vrai qu'on peut en douter. J'ai eu quelques prof en effet avec lesquels on pouvait polémiquer avec des arguments qui volaient un poil plus haut. Il devait vraiment être très colère Reynié puisqu'il répondait à un commentaire que j'avais laissé chez lui. Il a répondu sur son blog puis copié sa réponse ici !
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A
Salut Edgar,Bon billet sur - ce que je trouve - les platitudes de Jouyet. Je pense que les Serbes vont enfin découvrir leur avenir européen comme ils en ont déjà fait récemment l'expérience (bombardements US + UE). Tout ce petit monde plein de bonne conscience.Le mot de M. Reynié est amusant. Je vois qu'il est professeur d'université. A.Finkielkraut a raison de dénoncer l'état lamentable de l'Université française en sciences sociales. Je le remarque souvent : la plupart des sociologues, chercheurs... qu'on nous sert sont affligeants par leur manque de culture philosophique, historique, en un mot l'absence de réflexion sur le long terme et l'enfermement dans leur propre spécialité, et même, leur seul champ de recherche. Cela n'a rien avoir avec l' idée défendue. Au contraire même, un contradicteur avec une culture générale importante, donne matière à penser, fait avancer sa propre réflexion...La preuve de ce drame de l'Université nous en est donné de fort belle manière aujourd'hui : on a un universitaire qui sait à peine écrire ! Sait-il même lire ? J'ai bien peur que non.C'est également intéressant de voir son approche des problèmes et le sens de la disputatio dans la recherche de la vérité comme l'on disait naguère à la Sorbonne. Je suis affligé...
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O
Edgar : ton Reynié, il est très 'fils de communistes" dans ses réflexes verbaux. Il a vraiment le vocabulaire spontané de ce monde là. L'Europe comme besoin de totalité...
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V
@Dominique Reynié : la version du traité du tenancier de ce blog c'est pas de traité du tout, ou la SDN peut être.
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