Voilà qu'Emmanuel Todd remet le protectionnisme à l'honneur. La revue Le Débat ouvre ses pages au sujet, de Villepin lui offre une tribune d'enfer.
Pourtant, je ne crois pas que ce soit une bonne chose - rappel, j'ai voté non au TCE et suis 100% d'accord avec les critiques de la politique de taux d'intérêt menée par Jean-Claude Trichet.
Le protectionnisme c'est un vieux tromblon pointé à la face du reste du monde. Et comme tous les vieux tromblons, ça part dans tous les sens, avec peu d'effets.
Ca part dans tous les sens car rien ne dit quel protectionnisme nous devrons jouer. S'agit-il d'arrêter les magnétoscopes à Poitiers, comme en 1982. C'est à dire, faut-il bloquer des produits finis manufacturés pour donner le temps à nos industriels, qui ont cessé d'en produire, de les fabriquer à nouveau ? Ils iront de toute façon les produire en Pologne ou en République Tchèque, dans le meilleur des cas - nos concurrents les plus capables sont aussi dans l'UE, et je ne pense pas que Todd ait appelé à voter oui pour prôner ensuite l'instauration de barrières douanières intracommunautaires.
Faut-il alors taxer les matières premières et les produits agricoles ? Je crois que nul ne songe à taxer plus l'importantion du pétrole, et que dans le domaine agroalimentaire, toutes sortes de mécanisme de subventions sont déjà en place, qui font que les distorsions du marché sont normalement déjà corrigées.
Faut-il imposer des taxes spéciales à l'encontre des pays qui ne respectent pas des critères de minima sociaux ? Pourquoi pas, mais il faudrait alors définir précisément ces critères, et l'impact économique est ensuite incertain : rien ne dit que nos concurrents les plus durs sont en infraction à ces règles non encore définies.
Bref, le protectionnisme est un tromblon difficile à manier. Ceci avait amené Paul Krugman à renoncer à le défendre, changement de position fort bien expliqué dans son recueil d'articles, "La mondialisation n'est pas coupable".
Il existe aussi d'autres moyens de renforcer les positions d'une économie donnée sans recourir à un protectionnisme aussi mal défini :
- les taux de change sont aussi une arme commerciale. Todd cherche à le faire oublier, sans doute parce qu'il a soutenu le TCE après avoir refusé Maastricht, mais mettre fin à une surévaluation de l'euro de 10%, c'est la même chose (ou à peu près), que d'imposer des droits de douane de 10% ;
- la TVA sociale est aussi un moyen d'avantager les productions localisées sur un territoire par rapport aux productions importées. A gauche, cette mesure, avancée par DSK, a été rejetée par ceux qui voulaient lui faire la peau, personne n'en parle plus donc (cf. ce bon
site d'introduction au sujet) ;
- enfin, les Etats-Unis savent très bien faire du protectionnisme en jouant sur les règles de l'OMC, il leur suffit de bloquer un petit nombre de produits stratégiques. Cela oblige cependant à choisir avec précaution les secteurs bénéficiaires, ce qui ouvre une course à l'échalote parmi les industriels concernés. Cf. un bon article très clair et en français, de Stiglitz
ici.
Le grand problème du protectionnisme, c'est qu'une fois que nous aurons ouvert cette boite de Pandore, nous risquons d'entrer dans un monde de guerres commerciales permanentes, avec un impact direct sur nos ventes à l'étranger (la Chine achètera-t-elle des Airbus si nous taxons ses produits ?....)
Conclusion claire pour moi : le protectionnisme est une fausse bonne idée. Les solutions (partielles, il n'y a pas de panacée) sont ailleurs, dans des politiques de change plus équilibrées, une TVA différente et une politique commerciale plus rusée peut-être.
Peu de candidats à la Présidence de la République trahiront cependant ce secret : aucune de ces trois politiques ne dépend aujourd'hui des nations. Toutes ont été déléguées à ce monument de technocratie ingérable qu'est l'Union européenne, en lequel Todd a bizarrement placé sa confiance. Todd, avec ce thème du protectionnisme est arrivé à se racheter auprès de la gauche intellectuelle et critique reconnue (Marcel Gauchet etc...), sans doute au prix d'un cruel fourvoiement. Tags :
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