La lettre volée

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La double détente

François Bayrou est-il de droite ? La question occupe pas mal en ce moment.

Elle n'est pas si importante que ça, surtout dans le contexte d'une présidentielle, et je crois que, grâce à la double détente, on peut être de gauche et voter Bayrou sans remords.

Tout d'abord, droite ou gauche, nous élisons surtout le "député français au Conseil européen" : la politique macroéconomique et de plus en plus de décisions sont prises à Bruxelles et Francfort. Ce n'est pas comme si on élisait un chef d'état...

Même d'ampleur restreinte par ce cadre européen, la question du clivage gauche-droite reste intéressante : entre les partageux, au risque de l'inefficacité, et les rigoureux, au risque de l'injustice, il y aura toujours débat. Savoir où penche Bayrou est donc une question légitime.

Il affirme ne pas pencher : on l'entend prôner le centrisme et la fin d'un vieux clivage. Je veux bien croire que le clivage droite-gauche soit aujourd'hui maintenu artificiellement en vie et que l'on doive le suspendre, le temps de changer un peu les meubles de place. Je ne crois pas qu'il puisse disparaître.

A terme, je retiens notamment l'argument qu'un gouvernement du centre expose à ce que la seule alternance possible soit celle d'un parti extrême. On pourra rétorquer qu'au Japon l'alternance se joue au sein du seul PLD depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, sans difficulté. Cela ne semble pas compatible cependant avec les us français.

Je tiens qu'une bonne façon de raviver valablement le clivage droite/gauche aurait consisté, pour la gauche, à affronter enfin le délire libéral européen. Ce sera pour une autre fois.

J'accorde donc à François Bayrou, le temps de cette élection, que son discours sur le centre est crédible. Je voterai surtout pour lui parce que Ségolène a dérivé aussi loin à droite, qu'il est maintenant plus à gauche qu'elle (elle a aussi dérivé très à gauche, échangeant un porte avions contre de l'éducation, mais c'est ce qui arrive quand on n'a pas de gouvernail).

S'il est élu, quid ? C'est là que la question reprend de l'importance.

Tout dépend d'abord de son opposant au deuxième tour : si c'est Sarko ou Le Pen, il va pencher à gauche par nécessité, si c'est la gauche (enfin, le PS), il risque de pencher ensuite à droite.

Le score des législatives sera ensuite la deuxième contrainte pesant sur l'équilibre politique du bayrouisme naissant : s'il a une majorité présidentielle avec la seule UDF rebaptisée, il pourra prendre le temps de pencher à droite ou à gauche en fonction de ses sentiments intimes, que je ne connais point. S'il doit chercher des alliances, ce sera tout de suite qu'il faudra choisir : droite ou gauche, PS ou UMP.


J'écarte l'idée d'un gouvernement lévitant durablement au centre, ou d'une grande coalition : un Kouchner (qui était prêt il y a peu à servir Sarko, n'oublions point) et quelques autres centre gauche, un Méhaignerie et quelques autres centre-droit, ça n'irait pas bien loin et le PS ou l'UMP seraient en permanence dans le chantage à la démission.

Le risque qu'il penche à droite ne me fait pas paniquer : s'il avait voulu simplement se contenter d'attendre son tour à droite, point n'était besoin pour lui de voter la censure contre l'UMP l'an dernier. Et les plaies à droite ne cicatriseront pas trop vite : s'il penche à droite, ce sera lentement ; je n'imagine pas Bayrou se rabibocher avec l'UMP aisément, dès juin prochain.

S'il penche à gauche, ce qui est plus probable, la siuation deviendra intéressante : il pourra, s'il le souhaite, faire de l'UDF renommée un nouveau parti de centre gauche, et reléguer les restes du PS à l'endroit où le même PS avait laissé le PC dans les années 70. Pas mal de gens au PS actuels seront partants pour rejoindre ce que Bayrou lui-même a annoncé comme un futur parti démocrate. Le terme n'est pas innocent, il annonce clairement une intention de pencher à gauche.

Mon intuition aujourd'hui est donc que Bayrou président penchera plus à gauche qu'à droite.

Et que nous, électeurs de gauche, avons une deuxième carte à jouer après avoir voté pour lui :
selon la tournure que prendront les événements, le programme du futur parti démocrate de Bayrou, nous pourrons choisir de voter, aux législatives, pour lui, ou, au contraire, voter PS ou un autre parti de gauche, pour l'inciter à pencher du bon côté.

C'est ce que j'appelle la double détente, et c'est pour cela que je voterai Bayrou avec plein d'incertitudes sur l'homme, son programme, son futur trajet - qui n'en a ? -, mais confiant dans le fait que je pourrai, en juin, tirer un deuxième coup et ajuster mon premier vote.

C'est pour cela qu'aujourd'hui, la question de savoir s'il est, à la fin des fins, de droite ou de gauche n'a pas grand sens : elle se posera en juin.


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O
Le fait que cette question ('Bayrou est-il de Droite ?') occupe les esprits m'en dit plus sur la Gauche que bien des essais.
Répondre
E
en effet. le problème que pose bayrou au PS c'est qu'il a sorti, comme programme, à peu de choses près exactement ce dont auraient rêvé les "modernes" du PS...