La lettre volée

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Doit-on agir contre ses convictions ?

Intéressant débat entre Philippe Bilger et Maître Eolas. La question posée par Philippe Bilger est celle de savoir si un avocat peut, en tant que partie civile, plaider de façon à entraîner la condamnation à mort d'un prévenu, alors qu'il est opposé à la peine de mort. Bilger semble d'avis qu'il y a un point où les convictions intimes de l'avocat doivent l'amener à refuser de plaider contre elles.

Eolas répond, entre autres arguments, que la position de l'avocat peut, plus facilement, l'amener à plaider sur un terrain moral difficile, tout en sauvant ses valeurs.

Je ne prétends pas prendre partie. Il se trouve juste que figure dans ma bibliothèque un réquisitoire d'un avocat général demandant la mort, tout en étant bien près de s'y avouer opposé.

 Je le recopie ici avec un trackback chez les intéressés, ça m'évitera de le mettre deux fois en commentaires.

C'est à la fois un hommage à son auteur et un voyage dans un autre style :

"Il me reste à remplir un devoir douloureux. Les crimes commis par l'accusé Prado entraînent la peine de Mort. Puisqu'il n'est pas donné à la nature humaine de contempler la vérité éternelle, de posséder la certitude absolue, la loi, oeuvre des hommes, peut-elle décréter la mort, peine irréparable ? Question grave et troublante qui souvent envahit mon esprit, mais que ni vous, messieurs les Jurés, ni moi, ministère public, n'avons le droit de nous poser et de résoudre ici.

Nos sentiments intimes disparaissent absorbés dans la grandeur et la beauté du rôle que la loi nous confie, et je ne connais pas, pour ma part, de spectacle plus affligeant que celui qui serait donné par des magistrats retournant contre la loi l'autorité dont la loi elle-même les investit. Ministres de la loi, soyons durs et froids comme elle. La loi commande, obéissons.

Que la peine de mort soit ou non légitime, quel criminel l'encourut plus justement que l'accusé Prado ? Doué des facultés les plus brillantes, il les a tournées obstinément vers le mal. Intelligence d'élite, imagination de poète, caractère énergique, au lieu de s'élever à la contemplation du beau, de parcourir la voie du bien dont les accès s'ouvraient à lui si faciles, il a donné libre cours à ses indomptables passions.


Il a passé comme un fléau, portant le deuil, le déshonneur, la mort. Ah, quand on considère tant de dons et une telle perversité, une existence encore aussi courte et une aussi longue série de méfaits, on se surprend à douter que la Justice divine ait déposé dans toute conscience humaine la notion primordiale du bien. Mais non ! Comme chacun de nous, cet homme a eu son libre arbitre. La justice humaine a le droit de frapper. Non sans émotion, mais du moins sans faiblesse, puisque la loi ordonne, je requiers contre l'accusé Prado la peine capitale."

Louis Sarrut, Avocat général à la Cour d'assises de la Seine, 12 novembre 1888.

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