La lettre volée

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Brice de Tours, Petit guide de la corruption politique

Brice de Tours est le pseudonyme d'un connaisseur de la politique. Ca ressemble à du Jean-François Probst, en légèrement moins cynique : de l'humour, un peu de style, une vision totalement froide de la politique et de la nature humaine... Ca sent la droite un peu anar. Mais peu importe, ce petit livre de même pas 120 pages se lit très bien.

L'auteur y décrit la méthode pour parvenir à s'enrichir en politique. Pour le dire vite, l'homme politique avide, venalis politicus selon Brice, s'enrichit en monnayant ses interventions et ses décisions.


L'idée est très simple, tout l'art est de ne pas se faire prendre. Toutes les étapes de la réussite sont donc décrites :

- devenir ministre (la méthode s'applique certainement de la même façon au niveau local) ;

- s'entourer d'un cabinet qui gère les affaires "classiques", avoir un conseiller pour les affaires réservées qui ne soit pas du sérail parisien, un homme-lige qui vous doit tout ;

- rechercher des cibles qui ont besoin de vous ;

- approcher les cibles : discrétion, progressivité, savoir ne pas insister façe à une cible "naïve", rétive ou peu coopérative ;

- se faire payer discrètement, et dépenser de même ("personne ne dénonce cette injustice. Personne pour atténuer le drame de ces hommes politiques assis sur 20 000 ou 30 000 euros en coupures de 500 et totalement impuissants à les utiliser...") ;

- cultiver les a-côtés : créer une fondation, une revue, qui permettront d'avoir des revenus officiels, que l'on pourra détourner vers des usages plus officieux ;

- en cas de soupçon, s'être fait auparavant des amis dans la presse, un profil de saint laïc, choisir un bon avocat et protester avec excès ;

- plus c'est gros plus ça passe.

Après lecture, on repasse l'actualité récente, on se souvient de l'affaire Dray ; de la récente affaire Kouchner, où tous les contrefeux ont joué, des journalistes volant au secours de Saint Bernard, martyr, en taxant Pierre Péan d'antisémitisme, à tel point que tout semble oublié. Au chapitre plus c'est gros plus ça passe : les plus gradés de nos politiques ne rechignent pas à afficher leurs relations d'affaires. En songeant à un élu de droite en vue, aux responsabilités parlementaires importantes, on lit ceci sur les élus qui deviennent avocats : "Une fois "encabineté", l'élu n'a plus qu'à se laisser aller. Les honoraires sont libres, leur justification si aléatoire... C'est l'assurance de rentrées confortables au moindre effort."

On note qu'à gauche un député a créé un organisme de formation, peu avant la création de son courant. Je me souviens avoir lu, dans Capital, l'an dernier, le patron de Virgin, Richard Branson, expliquer qu'un ministre français lui avait demandé 1 million de francs pour une autorisation d'ouvrir un magasin aux Champs-Elysées : aucune reprise, aucun journaliste, pas même dans Capital, ne s'est occupé de suivre, ni même indiqué qui était ministre à l'époque.

Bref,
le lecteur familier du Canard enchaîné reconnaîtra sans peine bien des personnages dans les situations abstraitement décrites par l'auteur.

La corruption ne se porte pas si mal, parce qu'elle est tolérée. La loi des petits et grands services et des renvois d'ascenseurs prévaut de telle façon qu'il faut vraiment manquer de chance pour se faire pincer.

Avec une unanimité touchante, pas un des grands quotidiens nationaux n'a écrit une ligne sur ce livre : ni le Monde, ni Libé, ni le Figaro, ni l'Humanité. C'est mignon.

Non-Fiction en a fait une recension très détaillée, avec de nombreux extraits.

Une note positive pour terminer : Brice de Tours affirme connaître et avoir rencontré des politiques honnêtes. Moi aussi.






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E
Sur le fond je suis d'accord avec Fred et durand : ce n'est qu'un épiphénomène sur lequel il ne fait pas se focaliser.Il se trouve que ce livre est tout de même informatif et que, parmi d'autres ouvrages recensés ici, même plus complexes, plus positifs ou plus centraux dans leurs enjeux, il a sa place comme essai sur la politique. ça n'est pas que ça, mais c'est aussi ça.
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F
Honnêtement je pense que c'est un sujet sans grand intérêt. Les politiciens qui cherchent à mettre quelques millions de côté pour eux-mêmes sont assez peu nombreux. Bon, bien sûr quand don dit aux gens "Kouchner est riche", ça aide à démanteler l'image du saint. Mais une fois qu'on a démasqué les quelques politiciens qui s'enrichissent, il ne sert à rien de publier un "manuel" général de l'enrichissement, qui donne faussement l'impression aux gens que tout le système tourne pour l'enrichissement privé, ce qui est faux. A la limite, le thème du "tous pourri", qui va bien aux anars de droite comme tu dis, vise à montrer que toutes les institutions sont au service de pulsions personnelles glauques, et même que dans un sens, elles se valent toutes (de sorte, par esprit de contradiction, qu'on finira par accepter celles que ceux qui croient à l'amélioration possible des institutions rejettent le plus : les tyrannies fascistes ou les vieilles oligarchies).
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D
  A Edgar.  "a gauche on croit à la bonté naturelle !  "  ... ouais, si on veut.. mais aussi aux rapports de force, individuels ou collectifs. Ce qui fait qu'un texte est aussi un élément d'un rapport de force et qu'on ne peut pas impunément le soutenir, sans le critiquer .Ce qui éloigne pas mal en tout cas d'une certaine conception ( "angélique" ) de la bonté et je me demande ce que ça a à faire avec des "instincts"  ?
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E
défaitisme ?à gros traits :il y a, à droite, un pessimisme foncier sur la nature humaine : l'homme est pêcheur, il faut faire avec. La société doit corriger les instincts.à gauche, on croit à la bonté naturelle, il faut, à l'inverse, secouer la société pour libérer les bons instincts.clairement, Brice de Tours me semble de droite : ce n'est pas "tous pourris" mais pas loin.je me suis, d'une certaine façon, coulé dans son style en ne commençant pas par un caveat (de type je ne crois pas au tous pourris). Plusieurs raisons : quand je commente un livre, j'essaie de me mettre en sympathie avec l'auteur ; ensuite et surtour, je ne crois pas, au fond, à l'importance de la corruption en politique.Pour moi, les corruptions, petites ou grandes, sont assez inévitables, et un politique peut être bon en ayant fait des choses pas toujours recommandables.mais la corruption existe et je ne vois pas pourquoi il faudrait se mettre la tête dans le sable.Il y a d'une part toujours intérêt à connaître, et de ce point de vue ce livre est à la fois rare et précis, et d'autre part on peut éventuellement envisager de remédier à certains abus criants (qu'un député puisse exercer comme avocat d'affaires est une aberration à laquelle il faut mettre fin).enfin, même si les journalistes ne devraient pas passer leur temps à mener des chasses aux sorcières, je trouve que l'absence totale de publicité sur ce bouquin est dommage. 
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D
La corruption ? Il est bon d'avoir en tête ce qui se passe autour de nous. Mais pas se laisser envahir. Je pense à cette conférence d'un vieux ponte universitaire du PC, complètement fataliste ( quoique indigné et en appelant sous entendu à l'indignation ) quand on parlait des fichiers, du charcutage des circonscriptions electorales, de corruption liée à la décentralisation ( ça a toujours existé) etc...Avachi, ne se réveillant que quand on parlait de la Résistance, celle avec un grand R, il y a 70 ans ! Pas étonnant que le PC soit à 2,5 %.  Je pense aussi à la video reçue : L'ENA : L'école qui forme son contraire : ENA  = ANE  . Il y en a plein sur le net.  Et ca nourrit un défaitisme térrifiant. Heureusement qu'il y a la dernière ligne dans l'article sur B. de Tours. Mais c'est une prirouette pour dire qu'en fait, elle devrait être dans les têtes dès le début de l'article. Samy
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L
"Brice de Tours affirme connaître et avoir rencontré des politiques honnêtes. Moi aussi." Des noms, des noms !
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