La lettre volée

Notes et idées : Politique, Bandes dessinées, Polars, Media, Actualité, Europe...

Emmanuel Todd, Après la démocratie, lecture 2

Suite de la lecture de "Après la démocratie".

Chapire 1 : Un vide religieux



La crise de la démocratie pointée par Todd équivaut à une situation d'anomie : plus de normes communes, de références valables pour l'ensemble ou pour des grands groupes au sein de la population. La crise de la religion est la première cause de ce vide selon Todd. Cette crise entraînerait d'abord la disparition de l'ancienne démocratie chrétienne à la française (MRP, puis UDF), et par contrecoup, touche le PCF, qui s'appuyait, pour vivre, sur cet ennemi traditionnel.


Pourquoi pas ? Mais Todd ne cesse de mêler l'anecdotique à des considérations de long terme, si bien que son raisonnement, impressionniste, ne convainc pas réellement. Ses anecdotes sont parfois fort bien vues (ainsi de l'idée que les quatre candidats les plus sérieux de la présidentielle de 2007 étaient tous de droite, de Le Pen à « une candidate de droite loufoque, socialo-traditionnaliste, Royal. »), mais n'ont qu'un rapport vague avec la thématique du chapitre.


Todd fait siennes les analyses qui veulent que l'homme sans Dieu soit, au fond, voué à perdre tout repère (« l'incroyant semble ne se sentir bien dans sa certitude que s'il y a encore dans la société une Eglise, minoritaire, mais porteuse d'une croyance positive en l'existence de Dieu, qu'il peut critiquer et nier ».) De là à en conclure que « à la course au vide des partis correspond une chronologie complexe qui ne révèle finalement qu'un élément sûr : le caractère primordial de la décomposition religieuse, de la foi comme de la pratique, qui entraîne à sa suite celle du champ politique ». On est donc loin d'être convaincu par les quelques analyses avancées.


Les raccourcis hasardeux parsèment de toute façon l'ouvrage et le premier chapitre n'est pas épargné. Par exemple, ce savoureux détail sur la France, où « la vie sexuelle des individus, plus expérimentale et variée qu'autrefois, certes, produit, au final, un indicateur de fécondité parfaitement satisfaisant de deux enfants par femme »... Y a-t-il un lien de cause à effet ? Sans doute sera-ce le sujet du prochain opus...


Pour finir tout de même sur une note positive, Todd explique que la crise du religieux affecte tout autant l'Islam en France que les églises chrétiennes, et que le choc des civilisations annoncé par Huntington résulte tout bêtement d'une réaction aux politiques agressives et impériales des Etats-Unis. Je pense d'ailleurs que le « rendez-vous des civilisations », autre ouvrage de Todd, est sans doute plus intéressant qu' « après la démocratie », peut-être parce qu'il ne l'a pas écrit seul.

 

...suite ...

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M
Je ne vois vraiment pas où il y a matière à contestation sur ce point. On peut à la rigueur proposer d'autre cause que l'effondrement terminal du catholicisme pour expliquer le vide idéologique, mais on ne peut nier ce phénomène.Sur l'incise sur la sexualité, je crois que tu n'as pas bie saisi le propos. De mémoire, il s'agissait de démontrer que la déconstruction du système politique n'avait pas affecté la sphère sociétale.
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G
J'avoue avoir emprunté ma conclusion, ou du moins son inspiration, aux (nombreux) théoriciens de la raison instrumentale : ceux qui explorent l'espace laissé désert entre Kant et Nietzsche par le prosélytisme de la foi en la raison qui, hélas, écarte toute la réflexion passée sur la raison.http://www.bu.edu/wcp/Papers/Mode/ModeMart.htmJe peux par ailleurs comprendre que le désir profond des peuples de construire la paix après les horreurs de la seconde guerre mondiale ait incité à savoir se satisfaire de la raison et du débat démocratique, malgré ses limites, comme étant le meilleur outil pour construire le nouveau monde (il n'était plus question de continuité avec l'ancien, à l'époque). Au début du XXIème siècle, il me semble urgent de prendre conscience des limites des choix faits il y a soixante ans. Il me semble plus aisé de les percevoir en les acceptant, et de les accepter en les comprenant, en les replaçant dans ce contexte dans lequel l'urgence de reconstruire justifiait de remettre au lendemain les questions d'avenir d'alors.
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F
Je n'ai pas encore eu le temps de jeter un coup d'oeil à votre lien, mais j'aime bien votre conclusion "une prévisible succession de catastrophes d'ampleur croissante, qui pourrait cependant déboucher sur quelque chose".Je crois que toute l'histoire de l'humanité au moins depuis l'invention de l'agriculture (une importante catastrophe d'où sont sorties cependant une ou deux choses intéressantes) peut se résumer par cette formule, et que cela risque de continuer. Nous ne sommes qu'un pauvre primate qui expérimente des choses, et qui se plante souvent. Ce qui est certain, c'est qu'il ne revient pas facilement en arrière quand une expérience a eu lieu. L'humain a eu beaucoup de mal à s'adapter à l'agriculture qui était une corvée pour lui, mais il n'a pas pu y renoncer une fois qu'il l'a inventée (même si certains petits peuples ponctuellement eurent le courage de le faire). Nous n'aimons trop ce que la rationalité moderne fait de nous, mais en même temps, même quand nous ressuscitons les idoles, nous ne pouvons pas complètement dénier ce que la raison nous a appris. L'intégriste religieux ne récuse généralement pas complètement les acquis de la science, sauf cas particulier de certains mormons ou des talibans. Il faut donc bien vivre avec ça. Mais le risque de mésusage de la raison, notamment au détriment d'autres dimensions de l'existence, est effectivement très grand.
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G
Dans le prolongement de cette réflexion, j'hésite à m'intéresser à "A search for structures" de Cyril Stanley Smith.Sans pour autant partager les opinions exprimées dans : http://www.newscientist.com/article/mg19826501.500-why-the-demise-of-civilisation-may-be-inevitable.html?full=true , je remarque que l'homme cherche en permanence à optimiser rationnellement le fonctionnement de se propre société, ce qui le conduit à créer des structures de moins en moins aptes à évoluer car de plus en plus figées, mécanisées, informatisées, alors qu'il désire de plus en plus ardemment évoluer par avidité ou ambition humaniste, et alors même que l'usage de plus en plus massif de la raison à l'échelle planétaire (conséquence de l'éducation) l'aide à identifier des voies de plus en plus nombreuses de progrès et de risques. Bref, j'avoue douter que la voie de la raison ne soit un long chemin de roses, mais plutôt une prévisible succession de catastrophes d'ampleur croissante, qui pourrait cependant déboucher sur quelque chose.Mais alors, pour quoi faire ?
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F
Oui, c'est une objection intéressante. Est-ce que la raison ne risque pas d'être uniformisante, et nourrir de nouveaux totalitarisme ? Je suppose que c'est en ce sens là que les pensées des années 60 étaient toutes très anti-rationalistes. Et c'est vrai que diverses pathologies occidentales actuelles (l'hyperjuridisme, l'hypernormativisme etc) peuvent faire craindre cette dérive. Mais je pense que si l'on revient à une définition de la raison comme une faculté dérébrale de connaissance et d'adaptation à un environnement donné, alors cette raison n'est pas nécessairement un "système" qui asservit l'individu. Elle peut devenir un simple moyen de combattre des peurs (souvent entretenues par la religion) et de régler par la discussion des problèmes (ce que Bakhtine appelle la raison dialogique, et qu'on retrouve un peu - mais j'aurais des réserves sur cet hauteur - chez Habermas). A mon avis la volonté de systématiser la raison est une pathologie de la fonction rationnelle cérébrale qui est apparue avec le déclin du christianisme en Occident comme substitut de ce dernier (c'est visible chez Hegel où la Raison remplace Dieu, mais aussi avant lui chez les Lumières françaises et allemandes). Pour autant, si je rejette cet usage maximaliste de la raison, je n'approuve pas non plus son instrumentalisation comme pure définition de procédures de dialogue entre individus ou entre cultures. Il me semble qu'on ne peut pas faire l'économie de ce que la raison scientifique a révélé d'universel chez l'être humain -(par exemple dans les mécanismes hormonaux, ou les dispositifs neuronaux qui président à la formation de nos concepts, de notre morale etc). De ce point de vue là l'universalité n'est pas une structure qu'une raison abstraite impose d'une façon autoritaire voire totalitaire, mais une réalité dont les conséquences doivent être tirées (notamment les conséquences en termes d'organisation politique des relations entre Etats, ou de gestion commune à l'échelle humaine des risques planétaires) à partir de la rationalité elle-même.
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G
Je suis assez d'accord avec votre analyse : mais alors, il faut peut-être choisir entre dictature de la raison et évolution vers la fourmillière ou aspirations humanistes auquel cas le mode de vie des petits groupes répartis sur un territoire semble une issue plus logique.Ce qui me perturbe est d'imaginer que la raison dont la vocation est d'imposer une conclusion unique à un problème donné à tous les individus rationnels puisse être vue comme un outil d'émancipation, ou, plus délirant encore, d'égalité ou de fraternité entre les hommes. Alors même qu'elle est certainement un moyen plus efficace de produire.
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F
Moi je vois plutôt la raison comme un des aspects de notre animalité. Une des  fonctions de notre cerveau, qui existe aussi chez d'autres espèces. Elle n'a cessé de se développer chez l'homo sapiens jusqu'à nos jours, au service de sa survie et de sa prolifération. Elle a permis de résoudre pas mal de problème (par exemple la question "comment gouverner des millions de gens dans une même structure politique et pourvoir quotidiennement à leur susbsistance", type de problème qu'on ne pourrait résoudre sans rationalité). Je ne pense pas que toute rationalité soit systématique ni dogmatique. La raison est d'abord une fonction pragmaytique, qui s'est développée en intéraction avec l'environnement des individus, et, à ce titre, est glabalement assez en adéquation avec lui. 
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G
Raison et matérialisme sont liés : l'ascension de la raison en religion nous a offert la science, la médecine, le progrès. Alors, l'on a voulu se convaincre que l'abondance était le bonheur, le triomphe de la raison un progrès, le choix la liberté, les bouddhistes des arriérés, l'intellectuel un émancipateur.Alors même qu'un individu raisonnable sait bien que rien ne permet réellement de croire que la raison est à même de résoudre quelque réel problème que ce soit : elle fabrique des systèmes cohérents, c'est à dire, autoréférents et essaient d'éviter les contradictions internes pour éviter d'être tropfacilement contestés par les esprits éduqués. Mais avant de jouer sa vie dessus, s'interroger sur la viabilité du processus relèverait pourtant d'un certain bon sens, du moins, si l'on veut au passage se doter également d'ambitions humanistes, ce qui, je crois, n'est plus contestable.
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F
D'accord avec Gus sur l'impuissance de la raison. Toutefois sur le long terme, on constate tout de même quelques progrès (par exemple sur le recul des superstitions, si on fait un bilan sur 5 siècles). Mais ces conquêtes sont fragiles. Le retour du religieux menace notre monde, pas seulement au Proche Orient, pour le grand profit d'un petit nombre de pyromanes.  Mais c'est une question complexe
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G
Ha, le voilà enfin, le vide religieux...Difficile d'oublier par ailleurs la plus étrange religion de notre temps : la foi en la raison. Mais, pour tout intellectuel se croyant au service de la société, la foi en la raison ne saurait être une religion...Comme si tout ce qu'on a pu dire de raisonnable ou raisonné sur Israël (billet qui suit) avait pu de quelque manière que ce soit contribuer à quoi que ce soit...
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