25 Janvier 2008
Pour la librairie
En attaquant la librairie sur la question des frais de port dans Le Monde du 19 janvier, en traitant les libraires de poujadistes, de lâches qui s'enrichissent grâce à leurs remises et sans prendre aucun risque puisqu'ils peuvent retourner leurs invendus, Thierry Wolton se trompe, bien qu'il adopte un point de vue malheureusement partagé par nombre de consommateurs, pour qui le livre se réduit aux titres dont on parle dans la presse et les médias, ceux qui composent les listes des meilleures ventes et se vendent facilement pendant un temps, puis sombrent dans l'oubli.Ils sont loin d'être honteux ni négligeables, ces titres-là. Tous les éditeurs se réjouissent de les publier et tous les libraires de les vendre, du plus petit au plus important, y compris, bien entendu, les sites Internet, dont Amazon n'est pas le moindre et qui, pour cette raison, peut ne pas facturer le port dans les commandes qu'il sert. Cela permet de faire du livre un produit d'appel, le temps de se débarrasser des libraires moins riches qui ne peuvent faire face. Pour autant, il n'est pas sûr que ces livres enrichissent le patrimoine.
En revanche, il existe un nombre considérable d'ouvrages qui n'ont pas cette destinée parce que, pour les remarquer, il faut les avoir lus et avoir pris du plaisir à s'interroger sur les questions qu'ils posent - que ce soit en littérature ou en non-fiction. Ceux-là, on les découvre grâce à la vitrine d'un libraire, à leur exposition sur les tables, qui permet au lecteur intéressé de les feuilleter, voire d'en parler avec le libraire qui a pris soin de les recommander. Ouvrages qui, sans cela, n'auraient pas eu la moindre existence. Mais qui peuvent, grâce aux libraires, parvenir ensuite sur des sites en ligne.
C'est la librairie de qualité et elle seule qui est en mesure de proposer un choix d'ouvrages que personne n'attend et qui, s'ils sont rarement rentables, font l'honneur d'une profession. Sans ce travail des libraires, bien des ouvrages de qualité ne pourraient être publiés ou ne le seront plus.
Alors, dans dix ans, quand on s'interrogera sur le retard intellectuel de la France, certains regretteront sûrement ces libraires qui menaient un combat d'arrière-garde en défendant la culture.
Irène Lindon Françoise NyssenPDG des Editions de Minuit
PDG des Editions Actes Sud