Notes et idées : Politique, Bandes dessinées, Polars, Media, Actualité, Europe...
3 Septembre 2015
"...son envie d'agir naissait toujours en réaction à l'impuissance qui le submergeait systématiquement à la vue d'un cadavre sur une scène de crime."
Batya Gour, Meurtre sur la route de Bethléem
Il y a un cadavre, mais qui est coupable ?
A lire l'éditorial du Monde, on ne le saura pas, mais on se demande si ce n'est pas l'Europe la victime. Et la victime devra obtenir réparation, sous forme de nouveaux pouvoirs.
Titre du journal : "réfugiés, l'Europe sous le choc après un nouveau drame".
L'édito : "L’exode ne fait que commencer, il ne s’arrêtera pas de sitôt. Et l’Union européenne est sa destination naturelle." C'est une pétition de principe, qui fait fi de la réalité, notamment celle du fait que la famille du petit Aylan comptait partir au Canada. L'éditorialiste du Monde n'a pourtant pas craint quelque arrangement avec les faits, pour les besoins de sa démonstration : "C’est un enfant syrien qui fuyait la guerre, avec sa famille. Ils voulaient gagner l’Europe, en l’espèce la Grèce, par la Turquie."
Toujours pour les besoins de la démonstration, il ne faut pas de coupables dans cette situation, ce qui compte c'est la victime européenne. Ainsi, "une partie du Proche-Orient s’effondre à nos portes. Des Etats qui étaient des piliers de la région se décomposent – la Syrie et l’Irak, notamment. Les pays voisins immédiats croulent sous une masse de réfugiés qui représentent souvent près du quart de leur population – en Jordanie et au Liban." Le Proche-Orient s'effondre tout seul, et personne ne l'a aidé ?
Ce qui compte est de terminer par un appel presque explicite à plus d'Europe : "Tellement décriée, ici et là, notre Union européenne nous a tout de même appris à gérer ensemble des politiques complexes et difficiles. Nos Etats-providence savent faire face à des situations d’urgence. Nos sociétés civiles sont tissées de liens associatifs qui ont fait leurs preuves, dès lors que l’opinion était convaincue de la justesse de telle ou telle cause. Il ne faut pas se tromper. Dans quelques années, les historiens jugeront les Européens sur la façon dont ils ont accueilli ceux qui fuyaient la mort sous les bombes,..."
Je déteste ce nombrilisme européen qui tourne au provincialisme, ramène toujours toute situation à l'Union européenne.
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Le lecteur pourra légitimement me faire le reproche symétrique, de profiter de l'occasion pour taper sur l'UE. Il suffit pourtant de lire d'autres titres que notre pravda du soir pour complexifier un peu le tableau de notre éditorialiste.
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Sur Vox.com, on trouve un long papier qui rappelle qu'une des raisons des départs de réfugiés est le financement insuffisant des camps qui les accueillent. Les Nations Unies estimaient à 5,5 miliards de dollars le financement nécessaire, l'UE, les USA et le Koweit en ont promis 2,2, même pas la moitié. L'article poursuit en précisant que les USA ont accueilli 1434 syriens dans les quatre dernières années.
Contrairement au titre du Monde, il n'y a pas que l'Europe qui est sous le choc. France 24 rapporte que sur twitter, un hashtag en arabe réclame que les pays du golfe persique accueillent plus de réfugiés syriens.
Et sur le site du journal suisse le Temps, un universitaire spécialiste des migrations avance que l'Europe a bien peu de raisons de se trouver "sous le choc" : "un nombre très important de personnes sont arrivées en Europe pour y demander l’asile en 2014 (environ 660 000) et en 2015 (plus de 400 000 durant les six premiers mois), mais nous sommes trop aveuglés par notre européocentrisme pour mettre ces chiffres en perspective internationale. Soixante millions de personnes sont actuellement déplacées de force à l’échelle mondiale et plus de 80% d’entre elles se trouvent dans les pays en développement. L’Europe n’est donc touchée que très marginalement par ce phénomène".
A en croire l'auteur, ce n'est probablemement pas, d'ailleurs, avec plus d'Europe, que l'on améliorera le sort des réfugiés : "Une étude récente a montré que les 28 membres actuels de l’UE ont dépensé depuis 2000 au moins 13 milliards d’euros dans des dispositifs visant à interdire aux demandeurs d’asile l’accès à leur territoire. Or, cette stratégie coûteuse s’est révélée largement inefficace – de nombreuses personnes ont réussi d’une manière ou d’une autre à pénétrer sur les territoires dont on voulait les exclure – et a engendré de surcroît les phénomènes contre lesquels elle prétendait lutter. En forçant les individus en fuite à utiliser des routes dangereuses, cette politique a permis le développement d’un marché juteux et incontrôlable, celui des passeurs, que tous pointent du doigt comme étant les principaux responsables de la «crise migratoire» que nous sommes en train de vivre."
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Mon intention n'est en rien d'écrire qu'il n'y a pas de problème et qu'il convient de fermer les yeux sur le sort des réfugiés. Je suis au contraire favorable à l'idée de Raffarin, que je découvre avec retard. Je rejette la tentation permanente de régler tout problème par une réforme accroissant les compétences de l'Union européenne. Surtout pour une question qui concerne l'ensemble de la communauté internationale. On peut toujours se demander ce qu'aurait fait Jésus, ou de Gaulle. A mon avis un président gaullien aurait annoncé un plan d'accueil important et appelé d'autres pays, USA et pays du Golfe compris, à en faire autant. L'éditorialiste du Monde, qui ne m'intéresse qu'en tant qu'il reflète la température des élites de notre doux pays, se soucie apparemment surtout de sauver l'UE, et de ne froisser personne d'autre.