La lettre volée

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La femme fatale, Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin

fatale.jpg Fatal : "Qui est envoyé par le destin pour entraîner le malheur." (TLFI)

Le dictionnaire situe finalement bien l'enjeu de ce livre. Il s'agit bien de comprendre pourquoi Ségolène Royal, a pu, en apparence, sortir de nulle part pour faire perdre à la gauche la présidentielle qu'on ne pouvait pas perdre...

Dans ce récit, peu d'histoires conjugales, contrairement à ce qui se raconte - je ne vois pas bien de quoi justifier les 150 000 euros réclamés par Hollande et Royal.

Il s'agit d'abord d'un récit de la campagne présidentielle de Ségolène - pas de celle du PS, on verra qu'il y a bien eu personnalisation extrême, et deux campagnes parallèles.

Plusieurs thèmes donc dans ce livre, pas si inintéressant que ce qu'écrit Schneidermann :


1. Ségolène et François, c'est plus ça.


C'est quand même un peu le sujet... Dîner Hollande/Dray/Rebsamen au restaurant, le téléphone de Hollande sonne, il s'en va. Visiblement pas avec Ségolène, qui rappelle peu après Dray et Rebs, cherchant son François... Suivent quelques nuits où François est hébergé chez des amis, dans plusieurs endroits successifs. Un mariage où Ségo ne veut pas aller si François est présent... Hollande qui félicite Alain Duhamel, qui n'a pas consacré une ligne à Ségolène dans son livre sur les prétendants à l'Elysée : très bien ce que tu as écrit sur Ségolène.

Bref, si ces deux là s'aiment encore, à tout le moins ils ont traversé une période difficile.

La seule question qui compte c'est de savoir si cela a eu un impact sur la campagne.

La réponse est malheureusement oui. Hollande était quand même en position pour se présenter.

Vous vous souvenez :



Après cela - et le référendum perdu -, Hollande a évoqué le retour de Jospin. Selon Bacqué et Chemin, réplique de Ségolène Royal, via Julien Dray : si tu fais cela, tu ne reverras plus tes enfants.

On apprend ensuite que la campagne s'est faite contre le PS et contre son Premier secrétaire: au 282 boulevard St Germain, il est persona non grata.

En échange, ou à cause, de ce mépris, Hollande veille à ce que Ségolène ne s'écarte pas du dogme socialiste, en tout cas tel qu'interprété par lui-même.

Résultat de ce ping pong : le couac sur les impôts, dont on n'a pas su s'ils allaient monter au delà de 4000 euros mensuels (version Hollande), ou rester identiques (version Royal).

Difficile de ne pas penser que dans ce jeu pervers, entrait une part de jalousie et de rancoeurs privées entre Marie-Ségolène et fraise des bois. Les équipes se sont mêlées de cela, ont joué de ces difficultés, et, pour le coup, on relève que les dérapages sont plutôt intervenus côté Ségolène : outre la menace de Dray susmentionnée, il y a un appel de Rebsamen à Hollande, pour lui conseiller, pendant la campagne, de s'occuper un peu plus de sa fille...

Indéniablement, il y a toujours entre rivaux au sein d'un parti, des relations tendues. Dans le cas Ségolène-François, elles ont certainement été envenimées par une dégradation de leur relation personnelle. Fin des aspects privés, qui ne sont qu'une trame, mince de cette relation.


2. Ségolène est une femme peu aimable

Le problème de Ségolène est qu'il n'y a pas que son mari qu'elle a pris de haut. Elle se plaint que sa campagne ait été torpillée par les éléphants, il faut voir qu'elle n'a pas su leur tendre la perche. Oui, la campagne pour les investitures a été rude, oui, Fabius, DSK et d'autres ne l'ont pas épargnée.

On attend cependant du Chef de l'Etat une certaine capacité à passer l'éponge et à rassembler. A lire plusieurs passages du livre, on hésite entre la parano (Ségo parlant de Fabius et DSK en réclamant qu'on n'oublie pas qu'ils ont "voulu la tuer"...) et le manque de confiance en soi (refusant d'annoncer DSK à Matignon, au motif qu'il se croit plus malin qu'elle. So what ? Tous les collaborateurs se croient, et sont souvent, plus malins que leur patron, c'est la vie. Ce motif pour écarter DSK sent la peur plus qu'autre chose).

Ségolène (comme Sarko d'ailleurs) a une revanche à prendre dans la vie, c'est malheureusement trop apparent.


3. L'équipe de campagne n'a pas été à la hauteur


L'équipe de Ségolène tient plus du radeau de la méduse que de la dream team. Rien de désobligeant, le simple constat, fait par Bacqué et Chemin, que Ségolène a préféré écarter les compétences internes au PS, au profit de personnalités qui lui devraient tout.

Il me semble que ni Jospin, ni Mitterrand n'étaient allés aussi loin dans la personnalisation. Pas mal de personnalités sont là pour se raccrocher à une trajectoire porteuse : Chevènement se voit revivre auprès de Ségo après avoir été boudé par Jospin, Montebourg revient enfin au premier rang, après avoir été abandonné par Peillon au congrès du Mans, BHL oublie ses propos initialement plutôt acides, lui qui ne peut supporter d'être loin du pouvoir potentiel.

Tout cela tient plus de la salade idéologique que de l'équipe homogène.

Ce bricolage se retrouve malheureusement dans la gestion de la campagne.

Ségolène, qui prend tout de haut, ne gère pas les susceptibilités de ses troupes. Il lui manque un Claude Guéant qui sache mettre de l'huile dans les rouages. A lire le récit concret de la campagne, on découvre une foultitude de candidats au poste de n°2 : Chantepy, Dray, Rebsamen, Chevènement, aucune de ces personnalités ne semble avoir de rôle dominant, dans un ensemble d'attributions bien imprécises.

Même flou dans l'équipe internet où Benoit Thieulin et l'équipe de Thomas Hollande (que personne n'ait parlé de népotisme à ce sujet m'étonne) n'ont pas pu manquer de connaître quelques frictions - mais je m'avance, rien de cela dans l'ouvrage.

Pire, un autre cercle concurrence celui des politiques, celui des communicants : Nathalie Rastoin, DG d'Ogilvy France, Alain Mergier, consultant et sociologue, Sophie Bouchet Petersen, trois têtes chercheuses qui ont en commun de concevoir la politique comme un exercice de positionnement, déconnecté de tout contenu idéologique. Cela a réussi à Sarko mais parce qu'il a su étendre au delà de ses valeurs fondamentales, qui restent clairement identifiées : ordre, autorité, avidité...

C'est sur ce dernier cercle qu'on apprend le plus dans l'ouvrage de Bacqué et Chemin. On découvre comment les méthodes de la publicité et de la communication ont été appliquées dans la campagne de Ségolène (insistance sur la féminité, le besoin d'écoute des français). Sans doute un peu de politique au milieu de tant d'analyses brillantes n'aurait-il pas nui. Selon un grand de la pub française : "Rastoin fait pour Royal une campagne L'Oréal. Je montre la beauté et le sourire, mais pas le produit". En effet, on n'a pas vu le produit - et pour le sourire, l'ouvrage nous apprend qu'il a été refait par de la chirurgie esthétique.


4. Ségolène est stratège mais pas tacticienne


Triste conclusion pour l'ouvrage. Hollande, talentueux mais seul ; Ségolène, charismatique mais finalement trop hautaine ; les éléphants, humiliés. Tout cela augure mal de la suite.

Ségolène a eu une intuition solide dans la campagne : il importe de sortir le PS de cet unanimisme qui n'est acquis qu'au prix du respect irréfléchi de quelques dogmes fondateurs. Ceci aurait pu fonder une stratégie victorieuse. Malheureusement, l'application a été maladroite. Ce n'est pas parce que le PS a besoin d'être secoué, que n'importe quelle provocation doit être accueillie comme une innovation salutaire. Bacqué et Chemin rappellent que sous couvert de piétiner les dogmes, Ségo a souvent improvisé, chassé sur les terres de la droite ou simplement oublié de réviser.


Conclusion personnelle et provisoire :

On ne peut refaire le match, il faut maintenant regarder devant. Pour 2012, si le PS est encore le parti le plus à même de faire gagner la gauche, quelles erreurs à éviter ?

1. il serait bon que le candidat soit le Premier secrétaire. On voit trop quel gâchis de compétences le mur entre Ségolène et Solférino a entraîné.

C'est un choix lourd. Cela implique de renoncer au modèle des primaires. Je crois que les primaires amènent à confondre popularité et aptitude à gagner. Même si les media adorent cela (ça fait vendre), les primaires aboutissent à choisir un candidat consensuel mais creux, sans bagage intellectuel (on remarquera qu'au Congrès du Mans, en novembre 2005, moins de vingt mois avant la présidentielle, Ségolène ne portait aucune contribution). Le décalage entre popularité et capacité à être élu est celui-là même qui fait que Bernard Kouchner a toujours été battu partout : on l'aime bien, mais pas pour ses compétences politiques.

2. Pour autant, pas de précipitation. Ségolène n'a pas été mauvaise dans cette campagne. Je ne l'apprécie pas, du tout, mais je reconnais qu'elle a de la carrure (je lui ai trouvé meilleure prestance qu'à Sarko lors du débat du deuxième tour). De là à lui donner de suite les clés de 2012, il y a un gouffre. Elle a besoin de faire ce que Jospin n'a jamais su faire : un peu d'amende honorable pour rassurer sur sa capacité à ne pas retomber dans les mêmes erreurs. Elle ou un autre, attendons avant de choisir.

3. Le plus important à mon sens : à la présidentielle, il faut présenter un ticket. C'est une question d'honnêté : l'électeur aurait dû savoir, en votant le 22 avril 2007, s'il votait pour DSK à Matignon ou pour Chevènement. De même, le 21 avril 2002 il auraît du savoir si en votant Jospin, il choisissait Fabius ou Hollande. C'est prendre les gens pour des billes que d'ignorer cette demande, et c'est vouloir, trop vite, s'installer dans un rôle de monarque que les français rejettent. Sarkozy, lui, avait presque officiellement annoncé que ce serait Fillon.

4. Les questions de positionnement sont secondes. C'est très bien de chercher l'alliance à gauche ou au centre, ça ne doit servir qu'à faire l'appoint, à aller grapiller les quelques pourcents manquants. Plus on est juste, plus il faut rameuter à la fois le centre et l'extrême gauche, et plus le grand écart est voyant. La solution pour le PS doit passer d'abord par un programme, ou un projet, peu importe, capable d'attirer plutôt 30% des français que 25%.

Aujourd'hui, le MoDem construit peut-être cela, un projet démocrate et humaniste, avant le PS.



Il y a donc du pain sur la planche. Il est à craindre, cependant, que l'état des relations entre personnes soit si dégradé au PS qu'un travail de fond soit impossible. Ségolène recommence à mettre le feu (cf. sa déclaration sur Bayrou dont on découvre qu'elle l'aurait souhaité comme Premier ministre), et les rancoeurs vont ressortir dès la fin des législatives.

La femme fatale, ou l'autopsie d'un Parti défunt ?


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M
Bon résumé de cet indisepnsable bouquin pour comprendre ce qu'était la réalité de la candidate socialiste. Il y a une phrase qui m'a marqué dans le chapitre sur les sondages "le projet, c'est la démarche". Non seulement la candidate n'avait pas de projet, mais elle avait théoriser le fait de ne pas en avoir. Il faut en effet se rappeller les balivernes qu'on entendait chez les analystes en début de campagnes : les français rejettent les élites, le savoir qui vient d'en haut, ils ne veulent plus des premiers de la classe mais de la proximité ... Au final, les français ont fait un vote bonapartiste en choisissant le candidat qui incarnait un pouvoir fort et qui semblait savoir ou il voulait aller. Ségolène Royal, c'était donc non seulement le degré zéro de la pensée politique, mais aussi une lamentable stratège et une candidate nullissime qui n'a pas été capable de poser la moindre organisation autour d'elle. Les déboires avec hollande et les tensions avec les éléphants n'expliquent pas tout. Sarko a fait aussi campagne avec un équipe "à lui" plus qu'avec les barons de l'UMP. Bref, il faut lire ce livre pour comprendre la nature du ségoliste ... et le plus vite possible tourner la page.
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