5 Janvier 2009
Emmanuel Todd est, pour moi, un mystère doublé d'une déception. J'ai du mal à croire comment un esprit affûté peut confier la défense de la démocratie à ceux même qui nous l'ont ravie. C'est en effet la conclusion de son ouvrage : pour sauver la démocratie il faut que l'Union européenne se convertisse au protectionnisme.
Intellectuellement, l'exercice tient de l'acrobatie de haut vol. Avant de parcourir l'ouvrage plus en détail, commentons cet extrait : « Tandis qu'à l'échelon inférieur de la nation, le suffrage universel subsiste, à l'échelon supérieur des institutions communautaires, la cooptation règne. En lui-même cependant, le cadre européen est neutre. Il a servi jusqu'à présent à expérimenter une gouvernance non démocratique. Il pourrait être utilisé pour sauver la démocratie.»
Tout le problème Todd est dans ces trois lignes. Un constat courageux, qui à lui seul garantit à Todd la non-invitation à bon nombre de colloques européens : la nation reste démocratique, l'Europe ne l'est pas. Malheureusement, c'est suivi d'un mensonge énorme, que même des supporters de Todd comme Malakine ont dénoncé : « le cadre européen est neutre ». Cette simple phrase suffit à disqualifier l'auteur pour évoquer les problèmes européens : bien évidemment, le cadre européen impose un biais libre-échangiste (c'est tout de même un traité de libre échange à l'origine). Même la Fondapol, proche de l'UMP, s'en est rendue compte.
L'ouvrage contient quelques idées intéressantes, mais est malheureusement truffé d'approximations.
Le raccourci le plus extraordinaire est le suivant, lorsqu'il désigne la principale difficulté de son projet de protectionnisme européen. Pour lui, le problème du moment c'est « l'incapacité structurelle de l'individu européen actuel à penser et à agir collectivement ».
Voilà que l'homme qui est capable d'infinies variations entre les haut-bretons et les bas-bretons, entre les familles souches et nucléaires, partout dans le monde, nous sort de son chapeau un « individu européen », qui fait son apparition à la page 253, comme s'il s'agissait d'une espèce anthropologique parfaitement identifiée.
Venant d'un intellectuel qui se revendique comme anthropologue, c'est un peu fort...
Au prix de quelques énormités et contre toute évidence, Todd peut donc au final s'affirmer partisan d'une utilisation protectionniste de l'Union européenne. Inutile de dire que même après lecture détaillée, l'argument ne convaincra que ceux qui refusent de croire que l'Union européenne est un projet idiot et sans avenir.
Essayons cependant d'accorder crédit à l'auteur de la qualité de son travail, pour détailler pas à pas la construction et le raisonnement déployé dans cet ouvrage.
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