La lettre volée

Notes et idées : Politique, Bandes dessinées, Polars, Media, Actualité, Europe...

Emmanuel Todd, Après la démocratie, lecture 1

Emmanuel Todd est, pour moi, un mystère doublé d'une déception. J'ai du mal à croire comment un esprit affûté peut confier la défense de la démocratie à ceux même qui nous l'ont ravie. C'est en effet la conclusion de son ouvrage : pour sauver la démocratie il faut que l'Union européenne se convertisse au protectionnisme.


Intellectuellement, l'exercice tient de l'acrobatie de haut vol. Avant de parcourir l'ouvrage plus en détail, commentons cet extrait : « Tandis qu'à l'échelon inférieur de la nation, le suffrage universel subsiste, à l'échelon supérieur des institutions communautaires, la cooptation règne. En lui-même cependant, le cadre européen est neutre. Il a servi jusqu'à présent à expérimenter une gouvernance non démocratique. Il pourrait être utilisé pour sauver la démocratie.»


Tout le problème Todd est dans ces trois lignes. Un constat courageux, qui à lui seul garantit à Todd la non-invitation à bon nombre de colloques européens : la nation reste démocratique, l'Europe ne l'est pas. Malheureusement, c'est suivi d'un mensonge énorme, que même des supporters de Todd comme Malakine ont dénoncé : « le cadre européen est neutre ». Cette simple phrase suffit à disqualifier l'auteur pour évoquer les problèmes européens : bien évidemment, le cadre européen impose un biais libre-échangiste (c'est tout de même un traité de libre échange à l'origine). Même la Fondapol, proche de l'UMP, s'en est rendue compte.


L'ouvrage contient quelques idées intéressantes, mais est malheureusement truffé d'approximations.

Le raccourci le plus extraordinaire est le suivant, lorsqu'il désigne la principale difficulté de son projet de protectionnisme européen. Pour lui, le problème du moment c'est «  l'incapacité structurelle de l'individu européen actuel à penser et à agir collectivement ».


Voilà que l'homme qui est capable d'infinies variations entre les haut-bretons et les bas-bretons, entre les familles souches et nucléaires, partout dans le monde, nous sort de son chapeau un « individu européen », qui fait son apparition à la page 253, comme s'il s'agissait d'une espèce anthropologique parfaitement identifiée.

Venant d'un intellectuel qui se revendique comme anthropologue, c'est un peu fort...


Au prix de quelques énormités et contre toute évidence, Todd peut donc au final s'affirmer partisan d'une utilisation protectionniste de l'Union européenne. Inutile de dire que même après lecture détaillée, l'argument ne convaincra que ceux qui refusent de croire que l'Union européenne est un projet idiot et sans avenir.


Essayons cependant d'accorder crédit à l'auteur de la qualité de son travail, pour détailler pas à pas la construction et le raisonnement déployé dans cet ouvrage.

  ...suite...





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H
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S
Cela ne lui ferme en rien la porte aux manifestations politiques. Il participait il y a quelques mois à la Convention sur l'Europe du MoDem, et à des événements du parti microscopique DLR.S'il n'est membre d'aucun parti, c'est certainement également de par la construction type actuelle parti politique, qui n'est pas démocratique. Ce schéma devrait cependant changer dans les mois prochains...
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E
OK! J'avoue que je connais peu E Todd, ses thèses, même si j'ai plusieurs connaissances qui le tiennent pour un intellectuel majeur (il y en a si peu aujourd'hui).Il reste dans le camp du Oui et, comme il le dit dans un endroit du bouquin, il serait intéressant de lire des sondages d'opinion où on n'interrogerait que les 1% qui ont les revenus les plus élevés ou uniquement les 50 plus grosses fortunes françaises. Ont-elles toutes voté Sarkozy, ou oui au référendum? A mon avis les milliardaires ne perdent pas leur temps à voter et même plutôt ça les humilierait de voter: leur voix compte autant que celle d'un prolo, un comble.
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E
en tout cas merci d'être passé !
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E
Peut-être y a-t-il un peu d'ironie désespérée dans sa phrase. Mais son appel à voter oui étit bien réel. c'est donc qu'il croit que le cadre européen est neutre et n'influe pas sur le fond des politiques européennes.
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E
J'ai un peu le même sentiement que toi: passionnant au début du livre, ET tombe dans l'élucubration (le mot est un peu fort, disons l'approximation, comme tu dis) dans la fin du livre.Mais je ne suis pas sûr que tu aies bien interprété le sens de sa phrase "le cadre européen est neutre en lui-même".Je pense qu'il y a de l'ironie ici, puisque la phrase suivante la contredit: " Il a servi jusqu'à présent à expérimenter une gouvernance non démocratique."La pseudo neutralité de l'EU est en réalité faite de cooptation et de décisions prises sans qu'un choix démocratique ait été fait.Enfin, sur ce point je ne suis pas catégorique.
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G
Il y aurait une autre explication : Todd, comme Delors, profite d'une vision lucide des choses. Simplement, par commodité, comme la plupart des chrétiens, il lui suffit que les plus talentueux soient bien lotis puisque, s'ils sont talentueux, ils ne peuvent être que charitables.
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