La lettre volée

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Carnets d'un inspecteur du travail, Gérard Filoche

« Dans les deux cliniques privées que j'ai inspectées, les infractions étaient légion. Dire que, fin 2001, les patrons de ces cliniques, qui gagnent un argent fou, ont incité leurs personnels à se mettre en grève pour obtenir des rallonges de l'Etat. Élisabeth Guigou, alors ministre du Travail et de la Santé, a fini par verser aux médecins chefs des cliniques privées de quoi augmenter leurs infirmières. Ces libéraux qui ne jurent que par « moins d'Etat », par la rentabilité, et disent pis que pendre de la Sécurité sociale, du droit du travail et de l'hôpital public, savent trouver la voie des financements publics lorsqu'ils le veulent... Ils ont obtenu de l'argent pour leurs personnels, sans même sacrifier un euro de leurs profits. Ensuite, le ministre Mattei a cédé, sans contrepartie, en accordant la consultation à 20 euros aux médecins et davantage aux spécialistes. Il a accru le « trou » de la Sécurité sociale dont il feint ensuite de s'alarmer pour mieux l'étatiser et la privatiser ».

Une bonne citation vaut mieux qu'un long discours. Pas de blabla, le livre de Gérard Filoche est vivant, rempli d'exemples, engagé, concret, à 10 000 lieues du chichi idéologique dans lequel s'est engluée la gauche.

Gérard Filoche fait l'éloge des 35 heures et pose qu'elles ont échoué parce que la gauche a voulu négocier. Or, fondamentalement, pour faire passer des réformes de gauche, mieux vaut ne pas attendre l'accord du MEDEF : « Toute une partie du battage mené par le MEDEF contre les 35h et l'ordre public social feint d'ignorer cette contradiction juridique fondamentale : un subordonné ne peut négocier librement à son avantage ». « [...le MEDEF...] fait mine de vanter le contrat, mais ne cède qu'à la loi. »

Les bienfaits de l'Europe sont naturellement rappelés : temps de travail maximal à 48h hebdomadaires, dépassable avec « accord individuel » du salarié (de fait, l'accord est obligatoire pour être embauché au Royaume-Uni de M. Blair - celui dont Ségolène apprécie la flexibilité).

Autre conquête sociale européenne, l'arrêt Stoeckel (25 juillet 1991) : l'égalité hommes/femmes exige que les femmes puissent travailler la nuit. Derrière cela c'est la banalisation du travail de niut qui pointe (soldes nocturnes, ouvertures à minuit, ouvertures 24/24). Or l'interdiction du travail de nuit des femmes datait de 1892 en France, et avait été confirmée par l'OIT en 1919.

Fort de son expérience d'inspecteur du travail, l'auteur propose des mesures concrètes, par exemple la responsabilité automatique du donneur d'ordre lorsqu'un accident du travail se produit sur un chantier. Un grand du BTP peut en effet signer un contrat et faire travailler - exemple donné dans l'ouvrage -, sur un petit chantier de rénovation, 70 salariés répartis sur 22 entreprises. Inutile de dire qu'en cas d'accident le grand se défile et que les micro entreprises se révèlent insolvables.

La gauche moderne dira qu'il s'agit là de délires gauchistes, bien entendu, qui ne passeraient pas bien sur TF1. Pourtant le camarade Filoche, certainement déviationniste, suggère que la protection des travailleurs peut être rentable, et cite un rapport japonais sur les mesures de sécurité : elles rapportent 2,7 fois ce qu'elles coûtent. Est également cité un rapport du Bureau International du Travail de 2003 : les accidents du travail tuent plus que les guerres et les accidents de la route.

Autre suggestion : qu'un contrôle des licenciements soit effectué par l'Inspection du travail, ce qui permettrait d'éviter les remises en cause par le juge, plusieurs années après.

Enfin, il rappelle que dans l'application des textes sociaux, les aides sont souvent favorables aux grandes entreprises. Il suggère de ne les maintenir que pour aider les petites entreprises.

Pour finir, un inventaire, à frémir, est dressé des propositions du rapport de Virville, remis à François Fillon en 2004. La plus comique « encourager les votes par intranet dans l'entreprise » (ndlr : aux élections professionnelles). Vous savez, l'intranet de l'entreprise, où on se connecte en mettant nom et prénom... Bref, dans un paysage tout rose où tout le monde est gentil (tout ceux qui ont un cerveau pour voter oui), Gérard Filoche rajoute quelques coloris, en noir et gris.

Le livre est donc vraiment intéressant et riche, et pas du tout daté (un dernier rappel utile : les labos dépensent 20 000 euros/an par médecin en publicité. Qui sont direct récupérés dans le trou de la sécu).

Une conclusion bien sentie : « si la gauche doit se reconstruire, il faut qu'elle tire les leçons de ce qui a manqué dans ses premières lois sur les 35 heures. Tout ce qui se passe avec MM. Chirac, Fillon, de Virville et le MEDEF devrait l'inciter à se doter d'un bon programme pour 2007... »

Aujourd'hui on peut craindre que lorsque le candidat PS aura été choisi, les jeux seront faits, il fera son programme dans son coin, sondages en main...

 

 

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