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10 Avril 2014
Je n'ai pas une grande sympathie a priori pour Manuel Valls. Il me paraît bien trop souple avec les puissants, et dur avec les faibles, pour être adapté à des temps difficiles.
Au moins est-il responsable devant l'Assemblée nationale, et a-t-il été élu.
Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, a été nommé à sa place par Jacques Chirac et renouvelé par Sarkozy. Il est intouchable en raison du statut de la Banque de France qui, depuis l'euro, lui interdit de recevoir aucune instruction du gouvernement.
Son rôle, toujours défini par le même statut, consiste d'abord à faire appliquer les traités européens et principalement l'objectif de stabilité des prix contenu dans lesdits traités. De façon très subsidiaire, la Banque de France, qu'il dirige "apporte son soutien à la politique économique générale du Gouvernement".
On ne s'attend donc pas à entendre un Gouverneur critiquer publiquement et instantanément le discours d'investiture d'un Premier ministre.
C'est pourtant ce qui vient d'arriver, comme l'a rapporté Libération.
Non content d'oublier son rôle de soutien, Noyer a ouvertement accusé Manuel Valls de se tromper sur le rôle de la Banque Centrale Européenne.
Valls aurait en effet imputé la faiblesse de la croissance à la politique de la BCE. Noyer d'expliquer que «la BCE a la politique monétaire la plus accommodante» en matière de taux d’intérêt et que les taux européens à moyen et long terme sont «plus bas que les taux américains».
Quelques recherches montrent que Christian Noyer s'est arrangé avec la vérité. Ce qui compte principalement, en matière de politique monétaire, ce sont les taux d'intérêt réel. Avec un taux d'intérêt de 1% et pas d'inflation, un emprunt coûte plus cher qu'avec un taux d'intérêt de 3% et 5% d'inflation.
On ne peut donc pas juger une politique monétaire sur les seuls taux d'intérêt nominaux.
Par ailleurs, les banques centrales agissent surtout sur les taux de court terme, et ont moins de moyens d'actions sur les taux à moyen et long terme. Juger une politique monétaire sur ces taux est pour le moins lacunaire.
Enfin, dans une zone euro où les pays membres ont des taux d'inflation différents, les taux d'intérêts réels sont également très différents.
Avec ces quelques points en tête, j'ai recherché sur Eurostat les données sur les taux d'intérêt de la BCE et l'inflation dans les différents pays de la zone euro (séries IPCH - taux d'inflation et Taux d'intérêt du marché monétaire - données mensuelles - j'ai pris la valeur de janvier chaque année).
On constate qu'en 2002 l'Allemagne avait un taux d'intérêt réel de +1,89%, et la Grèce de -0,6%.
Quelques années de crise plus tard, la Grèce en 2013 emprunte à un taux réel de court terme de près de 1%, alors que l'Allemagne est à -1,5% (pour les curieux, la France est à-0,9%, l'Italie à -1,2% et l'Espagne à -1,4%).
La politique monétaire est donc assez exactement inadaptée à la situation économique des pays membres : accommodante avec le pays le plus fort de la zone et écrasante pour le plus faible (les tenants d'une vision punitive de l'économie y verront la saine sanction de pêchés passés, c'est oublier que l'endettement grec est aussi né de l'inadapation initiale des taux, les taux étant négatifs en 2002).
On note par ailleurs qu'aux USA les taux réels sont à -1,75% et les taux britanniques à -2%. Donc non seulement la politique monétaire de la BCE est inadaptée aux différences entre pays membres de la zone, mais elle est également moins accommodante que celle des USA ou du Royaume-Uni (le taux réel moyen de la zone euro est de -0,9% en 2013).
Ce ne sont là que calculs de coin de table, sur lesquels on pourrait pinailler (comparer un taux monétaire qui peut varier plusieurs fois dans l'année et un taux d'inflation annuel moyen est par exemple délicat).
Mais je crois bien que, répliquant à Manuel Valls, Christian Noyer n'a pas fait preuve d'une grande rigueur. Son travail de propagandiste de l'euro l'a emporté.