Après une chronique sur Katsu Aki, un commentaire du dernier
opus de Nicolas Baverez peut en refroidir plus d'un. Cela faisait cependant longtemps que je voulais découvrir ce livre qui a été si encensé.
Baverez fait partie de ceux qui ont clairement imputé aux politiques restrictives d'avant le passage à l'euro, une part de responsabilité importante dans la montée du chômage. On peut donc le classer parmi ceux qui ont retenu quelque chose de Keynes et j'en pensais de ce fait un certain bien. Lourde déception !
Ca commence d'abord très mal, avec une citation d'Orwell, "
la liberté c'est la liberté de dire que deux et deux font quatre. Lorsque cela est accordé, le reste suit." La citation est superbe mais il faut comprendre que Baverez va nous dire les vérités désagréables que tout le monde nous cachait. C'est un peu prétentieux et généralement ça doit inciter à la méfiance (surtout que Roger Caillois est aussi convoqué, mais j'abrège).
Ensuite, une description de l'état du monde sert d'introduction. Pas grand chose à redire, Baverez est là équilibré, rappelant les dommages des politiques restrictives de Jean-Claude Trichet, critiquant librement aussi bien les Etats-Unis, que le Royaume-Uni ou la France. Ce n'est pas la France qui tombe, mais le monde qui va mal et, malheureusement, on se reconnaît dans cette description.
Baverez commence cependant à prendre des facilités avec la réalité (Orwell et Caillois lui pardonneront) en indiquant que la croissance de la France oscille désormais entre 0 % et 1 % (page 39). Pas de bol, pour les sept dernières années la croissance française n'a été qu'en 2003 inférieure à 1 %, comme le confirme
le site de l'INSEE. La France ne va pas bien, ce n'est pas la peine d'en rajouter, sauf pour faire de mauvais effets de manches.
La France est encore critiquée lorsqu'elle "
perd de vue la situation de l'Irak" (page 56) en s'opposant aux Etats-Unis, ce que Baverez approuve tout en le désapprouvant. Car enfin, il donne raison à la France pour son début de traitement de la crise irakienne - donc lui donne raison sur l'absence d'armes en irak, pour faire bref - mais lui reproche d'être allée défier les USA dans l'enceinte des Nations-Unies, perdant de vue, ce faisant, "
la situation en Irak". Mais la situation en Irak était un artefact intégral des USA, ce que Baverez reconnaît. Il est donc proprement incohérent de reprocher à la France de s'opposer à une absurdité, même américaine, sauf à prétendre que le réalisme impose, face aux USA, d'attendre que
Cindy Sheehan nous donne le courage de nous exprimer....
On passe sur les généralisations hâtives "
rien d'étonnant si la France est devenue une base de recrutement privilégiée du fondamentalisme islamiste". Lue après les attentats de Londres, provoqués malheureusement par des terroristes tout ce qu'il y a de plus britannique, cela sonne pour ce que c'est, un effet de manche propre à faire trembler le lecteur catholique.
Dernier reproche majeur à mon sens, une incohérence dans les - rares - remèdes proposés. L'appel à une baisse de l'impôt sur le revenu dans ses tranches supérieures relève d'une philosophie économique complètement opposée à celle qui conduit Baverez à imputer aux politiques économiques restrictives pré, puis post-euro, une bonne partie de la faible croissance actuelle.
Au final, le livre contient un grand nombre de notations justes et bien vues, mais aussi trop d'erreurs ou d'approximations, prônant d'une page à l'autre des positions antagonistes.
Mais ça plait parce que ça a du style. Une citation d'Orwell, une de Caillois, du Talleyrand un peu plus loin, un titre de chapitre en latin, tout cela est de nature à ravir les salons parisiens. A cet essai finalement trop rapide, grossier, qui survole tout les sujets (parfois même plusieurs fois car la décentralisation ratée est invoquée comme une cause de nos maux à plusieurs reprises), sans vraiment les ordonner ni avancer de solution autre que de méthode, je préfère un livre comme celui de Patrick Fauconnier, "
la fabrique des meilleurs". Il est parfois mal rédigé, mais vient d'un homme engagé, regorge d'informations précises et d'idées concrètes. Pour une prochaine chronique...
7/1/2006 : lire aussi une recension du bouquin, bien faite et encore plus détaillée, sur
éconoclaste