La lettre volée

Notes et idées : Politique, Bandes dessinées, Polars, Media, Actualité, Europe...

Olivier Schramek, Matignon rive gauche, 1997-2001

Très intéressant d'avoir attendu pour lire ce livre. Il explique (malgré lui) pour partie la défaite de 2002, et éclaire de façon crue le fonctionnement de tout gouvernement aujourd'hui.

L'auteur était, comme directeur de cabinet de Lionel Jospin, aux premières loges – il ne manque d'ailleurs pas de le faire savoir.

Pour commencer par cet aspect trivial, Schrameck égrène le récit de ses exploits. Une citation au hasard : "Lorsque les journaux font référence à "l'Hôtel Matignon", ils traduisent souvent les réflexions et appréciations que je leur communique en "Off"..."

Voilà donc un homme qui consacre autant de pages à raconter comment la droite le mit au placard pendant "plusieurs semaines" en 1986, qu'à exposer sa vision des 35 heures et de l'action sociale du gouvernement Jospin – sujets à peine effleurés.

Dans la même veine un peu narcissique, on apprend ainsi que le gouvernement Jospin a été composé en 1997 par le trio Jospin, Allègre, Schramek. Schramek tient d'ailleurs à ce sujet à faire savoir qu'entre Allègre et lui, le plus utile à Jospin n'est pas forcément celui que l'on croit. Revenant sur la période où Jospin était ministre de l'éducation : "certaines réformes ou initiatives prises alors tiennent plus à mes propositions qu'à celles de Claude Allègre..."

Toujours égotiste, jusque dans les détails, il note au sujet du déjeuner hebdomadaire au cours duquel est préparée la séance parlementaire de questions au gouvernement : "Lionel Jospin [...] y prépare en ma compagnie les réponses que pourrait appeler l'actualité, son conseiller parlementaire Pierre Guelman venant habituellement nous apporter en cours de déjeuner des précisions..." Quelle façon exquise de ne pas mélanger les torchons et les serviettes.

A manier cependant ainsi un style précieux, Schrameck se prend parfois les pieds dans le tapis : "Il y a là un phénomène complexe de reflet qui fait penser parfois au grossissement d'une loupe et comporte des effets de réfraction qui, bien que déformants, aident à saisir le coeur des décisions"... On peut même rire en apprenant que Prométhée est en lutte avec lui-même, lutte "que symbolise l'aigle qui lui ronge le foie pour l'affaiblir de manière intestine" !

Etonne ailleurs, au sujet du PACS, la distinction entre "inverti ou même homosexuel actif", tirée d'on ne sait où !

*

L'avantage de cette vision précieuse et autocentrée est évidemment que Schramek décortique avec une grande minutie les contraintes du gouvernement. Il décrit avec la plus grande précision les réunions de ministres, le cycle des réunions de cabinet. On y voit d'ailleurs assez peu notre grand homme, Lionel.

Mais on apprend comment "les parlementaires non socialistes de la majorité doivent être mis en mesure de présenter des amendements que le gouvernement serait disposé à accepter". On ne saurait écrire plus habilement que le travail parlementaire fonctionne à l'envers : le gouvernement jette, comme des récompenses, des amendements "acceptables" à des parlementaires amis.

Au milieu de ce récit ordonné, Schrameck nous fait part de quelques unes de ses convictions, ainsi de la pratique inacceptable des transactions fiscales, dont il regrette la survivance. De façon moins justifiée, il épingle le gouvernement de "Michel Rocard qui avait fait appel à des personnalités de la société civile qui ne représentaient qu'elles-mêmes." Tandis que Schrameck représente ?

Il ressort de ces pages l'impression d'une surpuissance de Matignon (en période de cohabitation, mais pas seulement). Ainsi, le ministre des relations avec le Parlement est en charge d'un point de presse hebdomadaire. "Ce point de presse est chaque fois précédé d'un entretien avec moi et le conseiller chargé de la communication afin que le ministre soit informé le plus complètement possible du contexte général et de la problématique de l'action gouvernementale du moment". C'est assez étonnant de voir qu'ainsi le ministre est informé par des conseillers du Premier ministre de la problématique gouvernementale du moment.

L'impression d'étrangeté est confirmée lorsque Schrameck évoque "l'exposé toujours assez long que je fais chaque semaine à l'occasion de la réunion des directeurs de cabinet [qui] permet aux ministres de recueillir, par l'intermédiaire de leurs collaborateurs les plus proches, une impression d'ensemble".

Ce pouvoir de Matignon conduit cependant l'auteur à des jugements hâtifs. Ainsi lorsqu'il avance que "le juge devrait s'astreindre à faire mieux correspondre le temps judiciaire, le temps administratif et le temps politique". Non. L'affaire de la démission de DSK a été regrettable, mais c'est confusionnisme que de vouloir empêcher ce genre d'incidents de parcours en demandant au juge judiciaire de se plier aux contraintes de l'exécutif. C'est d'ailleurs placer trop de confiance en l'exécutif que d'écrire, comme le fait Schrameck, que l'habitude prise par les gardes des sceaux de Jospin de ne pas donner d'instructions dans des affaires pénales perdurera sans texte.

Au delà de la description d'une mécanique plutôt bien ordonnée, Schrameck aborde enfin des sujets de fond. Sur la Corse, on relève des contradictions qui visent d'abord à enfoncer Chevènement. Bernard Bonnet, le Préfet de Corse qui a ordonné de brûler l'assassinat des paillotes, a en effet été choisi par Jean-Pierre Chevènement, comme le rappelle Schrameck. Une page auparavant, il expliquait cependant que "le ministère de l'intérieur ne pouvait être regardé comme le ministère de la Corse et le préfet de la Corse était, là comme ailleurs, le représentant de l'ensemble du gouvernement et plus particulièrement du Premier ministre". Cette dernière phrase pour expliquer sans doute que le conseiller de Matignon, Alain Christnacht, ait pu tenir tête au ministre de l'intérieur. Mais si cela est vrai, il ne fallait pas laisser ledit ministre choisir Bernard Bonnet. La responsabilité de ce choix erroné incombe donc tout autant à Matignon qu'à Chevènement. Schrameck essaie trop visiblement et de façon peu convaincante de faire porter le chapeau à Chevènement. Ceci dit, cette dureté envers le président du MDC nous vaut de voir ressuscitée une citation de Chevènement lui-même, exhumée par Schrameck dans "le vieux, la crise, le neuf" : "C'est un fait que l'Etat-nation en France s'est constitué au fil des siècles par une suite de génocides culturels dont nous prenons seulement aujourd'hui la mesure..."

Malheureusement, nous n'avons pas droit à des citations de Jospin le troskyste en 1974, je crois que ça vaudrait aussi son pesant de cacahouètes...

Pour conclure, ce livre est à deux niveaux : c'est tout d'abord une description froide, minutieuse, habile des équilibres du pouvoir jospinien. Entre les partis de sa majorité parlementaire et Jacques Chirac, le gouvernement Jospin balance efficacement. Mais le livre est aussi une machine de guerre et un plaidoyer pro domo. Plaidoyer pour Schramek d'abord, dont le regret de ne pas être au devant de la scène transparaît de façon évidente, et machine de guerre contre Chirac mais aussi contre Chevènement. Sur ce dernier sujet, la mauvaise foi et l'animosité qui point derrière un propos par ailleurs si lisse et pondéré, montre bien comment six mois plus tard allait s'effondrer l'édifice jospinien : un mélange d'assurance et d'autoritarisme qui conduit à l'aveuglement. S'il veut revenir, Jospin devra faire preuve d'une habileté suprême pour effacer l'arrogance de ses années de triomphe. Et l'on espère qu'à cette occasion le rôle du « dircab du Pm », rôle administratif qui le conduit cependant à prévaloir sur des politiques de haut calibre, sera éclairci.

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