La lettre volée

Notes et idées : Politique, Bandes dessinées, Polars, Media, Actualité, Europe...

Gouasmi et moi

Ce texte a été rédigé par Olyvier, qui me l'a proposé.

Edgar


En sortant de chez moi samedi dernier, je suis tombé nez à nez avec la manifestation du Parti des Musulmans de France (P.M.F). J'ai observé quelques minutes, puis j'ai passé mon chemin, plus que mal à l'aise. La violence des slogans, la tension, mes propres peurs, tout ça n'aurait permis ni de comprendre, ni de débattre.


Quelques jours plus tard, j'ai découvert l'entretien que M. Gouasmi, président du centre Zahra, accordait aux radios présentes et je dois dire que cela m'a fait réfléchir (voir en fin d'article).


Bien sûr, M. Gouasmi n'est pas présentable. Il ne sait pas être ce que Harlem Désir sut incarner, une image proprette d'une réalité délicate et qui clive. Comme le Betar, côté sioniste, M. Gouasmi ne s'embarrasse pas trop de modération. Il ne semble pas « ouvert au dialogue » comme il est bon de l'être chez nous. Il n'intègre pas la logique de l'autre comme une possibilité d'être. On peut même être certains que discuter son propos aujourd'hui revient à prendre pour l'avenir le risque d'une forme de complicité avec ce qui ne manquera de se produire (du dérapage verbal au passage à l'acte criminel dans une société à cran). Mais je sais aussi qu'à force de ne pas parler du « diable », ou avec lui, on finit par ne pas saisir celui qui se tapit au fond de nous.


Selon M. Gouasmi, Israël doit disparaître. Ce serait la seule solution pour la paix : un seul pays où coexisteraient juifs et arabes.

Je suis évidemment opposé à cette idée, persuadé que la destruction de l'appareil militaire et étatique israélien entraînerait un pogrom d'une ampleur insoupçonnée. Mais je me dis également que l'échec d'Oslo, des petits pas de Pérès à l'élection de Netanyahu, des marchandages de Barak à la destruction de l'autorité palestinienne pendant la seconde Intifada, puis l'apparition du Hamas, et enfin le soutien incessant à la politique des néo-conservateurs américains, tout cela montre qu'Israël n'a pas saisi l'occasion historique de paix, et que d'une certaine manière, l'Etat juif parie sur la destruction du monde arabe. Cela fait évidemment mal de le reconnaître, mais je n'ai pas entendu parmi les 80 % d'israéliens qui ont soutenu le massacre de Gaza de voix qui me permettraient de penser le contraire. Israël frappe où elle veut, quand elle veut... et aussi fort qu'elle veut. Dès lors, comment s'opposer à l'argument de M.Gouasmi ?


Toujours selon M. Gouasmi, Israël n'aurait « rien à voir avec le judaïsme ». Je me méfie des « rien à voir » que l'on m'assène, quand la passion et le combat font office d'autorité morale, mais j'invite à repenser au film de S.Spielberg, Munich, souvent incompris, et qui raconte la même chose : la guerre israélienne, pour apparemment justifiée qu'elle soit, est devenue étrangère au judaïsme, tout en retenue, considération, préventions. (Je pense au héros qui, à la fin, à New-York, invite le supérieur du Mossad, en insistant que c'est là la tradition, que c'est shabbat, etc, et que son supérieur décline l'offre et s'éloigne). Le Talmud n'invite pas à tendre l'autre joue, mais tout de même à se méfier de soi et de ce qu'on peut trimbaler d'empoisonné sous ses propres pas. Le massacre de Gaza, qu'a-t-il à voir avec la tradition juive ?


M. Gouasmi s'en prend également au président français et à l'Europe. Comment ne pas être sidéré par la manière dont la République française a cessé d'être une voix dissidente en Occident et comment nous soutenons de facto le massacre quand le monde arabe aurait besoin d'une France qui ne fasse pas désespérer de l'Occident ?


Le président du centre Zahra compare ensuite les combats à une nouvelle shoah. Là, je reviens à mon analyse, inspirée par le travail de Sibony, d'un Islam empêtré dans son désir de se substituer au Peuple élu, y compris dans son martyre, et sur laquelle j'ai laissé de longs développements. Il me semble que pour porter secours aux Gazaoui, il est primordial de ne pas les «substituer» (note d'Edgar : lire à ce propos le très beau texte de Selim Nassib, Jour sans fin à Gaza, dans Libération, où il écrit Les Israéliens vivent dans la région depuis des décennies, comment peuvent-ils croire que cela va marcher cette fois ? Eux qui disposent sans doute de très intelligents chercheurs spécialistes de l’islamisme et de son culte pathologique du martyre, comment ne prévoient-ils pas que les enfants traumatisés de Gaza se transformeront demain en bombes humaines ? Quoi ? Ils le prévoient ? Et ils frapperont chaque fois plus fort, chaque fois plus fort, dans un cycle sans fin ?).


Après avoir rappelé que le déclenchement des hostilités répond au blocus israéliens, M. Gouasmi répond à la question de savoir si c'est la paix qu'il cherche, en affirmant que c'est plutôt la justice. Il me semble que l'alternative est pertinente, paix ou justice. J'ai pour ma part tendance à croire que la recherche du juste ne doit pas se faire au mépris de la vie, et que mieux vaudra une paix injuste pour les palestiniens que la poursuite de ce cauchemar. Bien sûr, tout dépend du niveau de l'injustice subie, de la capacité qu'on peut avoir à la surmonter, de l'avenir qu'on peut s'inventer, de la résilience comme on dit aujourd'hui. Il faut également avoir conscience de toute les injustices qu'une recherche du juste peut également entraîner, du mal qu'on peut commettre au nom du bien... En même temps, comment ne pas considérer l'amertume palestinienne ? Comment demander, au nom d'une paix qu'ils n'ont jamais connue, d 'accepter l'injustice de l'histoire à des gens qui n'ont plus que leur haine légitime pour seul bien ? L'alternative «paix ou justice» est intellectuellement, humainement, moralement pertinente. Elle n'en est pas moins impossible.

Je crois donc que le pardon réciproque est la seule solution à cette impasse, et je sais que le pardon est aussi une valeur d'Islam (et pas seulement d'un petit chrétien, moi, dépassé par l'horreur).


Enfin, M. Gouasmi affirme être le parti de Dieu et de la vérité. Cet Akbar me cloue le bec. A quoi bon alors tenter de comprendre ?



Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
O
Non. Pas avec moi. Ca marche pas avec moi. Ce que tu dis là est un écran de fumée, une manipulation (sur le mode "je ne suis pas un être plein de petites haines et de grandes aversions, mais un intellectuel qui réfute les particularismes"). Et je ne cherche pas à la déjouer : j'ai dit ce que j'avais à te dire quand je l'ai compris, quand ça s'est lié dans ma tête (je dois dire que j'étais pas prêt à penser ça).Tu pourras faire illusion sur tous, mais pas sur moi.
Répondre
F
je n'ajuste pas mes observations en fonction des particularités de chacun, parce que justement rien ne m'énerve plus que le fait d'être prisonnier de ses particularisme (ce que la culture française des 30 dernières années favorise)je puis dire à un sioniste que le projet politique d'israël me semble absurde, et à un pro-palestinien qu'il a tort de parler de génocide à tout bout de champ, et à un homo comme à un hétéro que la sophistication et le narcissisme sont des pièges, parce que justement quand je parle de politique les particularismes ne m'intéressent pas<br /> je ne dis jamais "moi gascon hétéro, de telle classe sociale etc je vosu dis que". Lorsque je m'abaisse à cela comme je l'ai fait par exemple de temps à autre face à tes objections, c'ets pour montrer que je suis aussi capable de réfléchir sur les particularismes des gens (et les miens), comme la culture française postmoderne nous oblige à le faire. Mais ces particularismes ne m'intéressent pas dutout, parce que l'unité de l'espèce humaine me parait beaucoup plus déterminante. Quand j'ai envie de retourner aux particularismes, c'est en partie pour en rire (en rire intelligemment si possible), et j'en fais un roman mais je me refuse à placer cela au coeur d'une discussion politique. La politique mérite mieux que les "moi je, de telle ethnie, de tel genre, de telle profession", et que les "quoi tu défends le bon sens, mais alors c'est parce que tu es anti ceci ou pro-cela, parce que tu n'aimes pas ci, parce que tu as été bercé trop près du mur par ta maman etc"<br />  
Répondre
O
C'est peut-être toi, ton référentiel, que tu devrais interroger. Quand tu lances à un PD qu'il est sophistiqué, narcissique, privilégié, et que tu lui rappelles qu'il n'a pas d'enfant, et que tu partages avec ta crémière un certain bon sens pour la survie de l'humanité, ça fait sens.(et je me fiche d'être le seul à m'en apercevoir ici).
Répondre
F
Affligeant. Tu m'avais déjà accusé d'antisémitisme je crois. Quelle magnifique mentalité ! Je te plains
Répondre
O
J'oublais aussi : le reproche d'élégance et de sophistication...Ta crémière et toi avez un bon sens qui porte un nom.(voir D. Eribon, Réflexion sur la question gay).
Répondre
F
Parce que ma crémière a du bon sens, et que le bon sens a permis à l'espèce humaine de survivre. Il y a les propos qui s'adressent à la cantonade, et puis les autres. Ma crémière sait bien ça.
Répondre
O
Narcissique, privilégié et sans enfant. Persiste et signe.Pourquoi tant de liberté idéologique et intellectuelle, pour tomber à chaque coin de rue dans le cliché qui te mettra bien d'accord avec ta crémière ?
Répondre
F
Le "sauf que" ne s'adressait pas à toi. Pourquoi toujours autant de narcissisme dans tes propos ? Nous sommes dans le bistrot d'Edgar (puisque les blogs ont remplacé les bistrots, hélas), et nous parlons pour la cantonade (car nos commentaires sont publics). Tu ne dois pas faire comme s'il s'agissait d'un dialogue. C'est du débat public au coin de la rue où chacun (Gus, le Chafouin, et bien d'autres, apporteront demain leur perre). Plaudite cive.
Répondre
O
Je voudrais bien savoir pourquoi tu écris "sauf que". Ca me semblait pourtant limpide ce que j'écrivais. Je ne vois pas où nous divergeons, sinon peut-être sur la vérité révélée, une et unique, globale, satisfaisante, apaisante et que je ne partage pas (la Révélation m'ayant beaucoup occupé, elle me laisse maintenant tranquille). Mais c'est là le seul point. Sur le reste, j'apportais de l'eau à ton moulin, et j'explicitais même ce que tu voulais dire (c'est mon côté bonne fille, pas rancunière).Le Duel de J.Conrad, d'urgence.
Répondre
F
Le piège oui. Sauf que s'il n'y avait pas ce système de prédation pour lequel on tue des Congolais et des Liébriens, Walstreet ne pourrait pas financer Israël, ni acheter du pétrole aux monarchies du Golfe... et  la face de la guerre pour Jérusalem en serait changée. Je me suis d'ailleurs laissé dire que des sociétés israéliennes ont investi dans des barrages sur le Nil. Un de mes petits camarades a toujours vu un lien Mossad-Tutsis, mais, comme il en m'a jamais apporté d'éléments de preuves, je conserve un gros doute là dessus. Mais de toute façon, vu qu'aucun journaliste n'enquête là dessus, tout va bien.
Répondre