La lettre volée

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GdF-Suez et l'Europe de l'énergie, vaste rigolade

« Paris ignore l'Europe » titre Le Monde, en une, au sujet de la fusion Gaz de france-Suez le 28 février. Quel vide ! On ne voit pas bien pourquoi la reprise de Suez par GDF devrait choquer alors que la reprise de Suez par Enel serait une victoire européenne. Il resterait de toute façon le pôle EON/Endesa et d'autres, toujours en concurrence, et de nombreux autres concurrents.

Après tout, puisqu'en Europe toutes les entreprises sont européennes, une entreprise française (publique certes), en vaut bien une autre, italienne (publique également). Et on ne voit pas bien le plan européen qui aurait été entravé par Paris et justifierait de telles récriminations.

Et on ne voit pas bien non plus en quoi l'interventionnisme français serait critiquable alors qu'aujourd'hui même le ministre des finances italiens rencontrait la commissaire à la concurrence, Neelie Kroes, au sujet de cette affaire. Aucun gouvernement, même acquis à l'eurobéatitude ambiante, ne peut se désintéresser de ce qui arrive dans le secteur de l'énergie.

Prendre le sujet avec le sérieux qui s'impose pourrait amener les belles âmes à devoir se documenter sur le marché de l'électricité, ce qui est moins valorisant que de reprocher au gouvernemnt de ne pas avoir complètement perdu tout sens commun. On trouve pourtant sur internet un rapport de 2002 rédigé par des élèves de l'école des mines, qui conclut ainsi :

 « Contrairement à ce qu’ont promis certains commentateurs, et à ce qu’espèrent bien des consommateurs, il est en outre probable que la libéralisation n’apportera pas d’importantes baisses des prix de l’électricité – ceux-ci devraient à terme converger vers le coût marginal de long terme, réalisant précisément le programme que Marcel Boiteux fixait à un monopole d’Etat « éclairé ». En tout état de cause, une part importante du secteur conservera un statut de monopole naturel, et une surveillance étroite des pouvoirs publics à l’égard des mécanismes de marché restera nécessaire. »

Que conclure de ces quelques lignes et du reste de la conclusion de ce rapport ? Que la France avait une politique énergétique cohérente et réfléchie (on peut étendre à tout le secteur énergie les conclusions tirées sur l'électricité), avec des théoriciens de la trempe d'un Marcel Boiteux, et qu'au mieux l'Europe mettra une trentaine d'années d'indécision avant d'arriver à peu ou prou à la même chose (les avantages attendus, selon ce rapport, d'une politique européenne cohérente – mais encore faut-il supposer qu'elle puisse l'être un jour – sont de deuxième ordre).

Le Monde nous apporte donc encore une fois la preuve que dans le débat public, l'invocation européenne sert d'argument tout prêt sur n'importe quel sujet. Heureusement que Paris a ignoré l'Europe !

beurk : la lecture du Canard enchaîné m'apprend qu'Alain Minc aurait conseillé ENEL dans l'opération. Il est président du Conseil de surveillance du Monde... liaison dangereuse ?

L'honnêteté me commande de noter que Le Monde lui-même avait évoqué le rôle d'Alain Minc, le 24/2 : "Les amis de Suez se mobilisent. Le banquier Felix Rohatyn, ex-administrateur du groupe, se dit « totalement opposé » à une OPA d'Enel. « S'il y a vraiment une logique industrielle, l'opération devrait se faire de manière consensuelle », explique l'ancien ambassadeur des Etats-Unis en France. Sur ce dossier, il conteste tout lien avec Alain Minc, président d'AM Conseil (et du conseil de surveillance du Monde SA), que certains présentent comme l'inspirateur de la démarche d'Enel. Un rôle que M. Minc refuse de commenter."

 

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