La lettre volée

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Jean-Louis Bourlanges, le Virenque de la politique, ou l'Europe est-elle à l'origine de 80% de notre réglementation ?

Jean-Louis Bourlanges, toujours, dans son interview au Monde, affirme :

Contrairement à une légende tenace, 90 % des politiques et 98 % des financements restent nationaux. Qu'il s'agisse de l'éducation et de la recherche, du droit du travail et de la protection sociale, de l'organisation administrative des territoires, de la justice et de la police, de la défense et de la politique étrangère et même, malgré Maastricht, des politiques budgétaires et fiscales, l'essentiel du pouvoir reste dans les Etats.

Je pense qu'il s'agit d'un mensonge de bonne foi. Voici pourquoi...

Formellement, on peut dire que seuls les rares textes d'application directe sont "européens". Le reste des textes européens demeure introduit en droit français par des textes français, avec parfois de minces variations sur un thème, qui font qu'on peut les dire "français".

On peut estimer cependant que, dès lors que le cadre général est européen (je résiste à la tentation d'écrire "vient de Bruxelles", ça va énerver JM...), le pouvoir national est faible.

De quoi sans doute réduire très sensiblement les 90% de M. Bourlanges, du seul point de vue formel.

Ensuite, il y a deux autres points qui méritent d'être soulignés :

1. Ce qui conditionne la capacité d'action d'un gouvernement, ce n'est pas que le Droit, c'est aussi l'état des finances publiques. Un gouvernement à 3% de croissance par an se sent pousser des ailes, à 1,5% il peut inaugurer les chrysanthèmes. Or il n'est pas du tout dit que l'Europe soit pour rien dans le marasme français. La politique de gestion de l'euro est plus adaptée à des allemands ayant une peur malade de l'inflation qu'à une France dont les excédents viennent d'abord de l'agro-alimentaire (et il n'y a pas de honte à cela).

Les politiques économiques sont donc massivement contraintes par le cadre européen, et en plus par ce qu'il a de pire, c'est à dire le règne de technocrates bienveillants. C'est Bourlanges lui-même qui l'énonce ainsi :
"deux des principales compétences que lui ont [à l'Europe] concédées les Etats, la concurrence et la monnaie, sont dépolitisées."

Entendre que pour la monnaie, c'est Trichet pour faire vite, et en réalité une technostructure complexe  BCE/Bundesbank/Banque de France. Pour la concurrence, see Mandelson, ex-producteur de télé évacué à Bruxelles à la suite de scandales financiers.

Sur le fond, l'Europe conditionne certainement la plupart des marges de manoeuvre générale des politiques français. Et l'Europe, en ces matières, c'est quelques fonctionnaires, certes hauts, sans contre-pouvoirs.


2. Pas mal de textes français s'inspirent globalement des textes européens, par servilité, manque d'inspiration, satisfaction des élites européennes d'avoir élaboré entre elles un programme commun de gouvernement, que sais-je.

A commencer par l'ex-Commissariat au Plan (cf. un vieux billet chez moi, dont le titre me réjouit encore, "après le plan, le flan". Un rien m'amuse...), devenu Centre d'Analyse Stratégique, dont le programme est le suivant :

Le Centre d’analyse stratégique est un organisme directement rattaché au Premier ministre. Il a pour mission d’éclairer le Gouvernement dans la définition et la mise en œuvre de ses orientations stratégiques en matière économique, sociale, environnementale ou culturelle. Il prend en compte dans ses différents travaux qui sont rendus publics, les orientations de long terme définies au niveau communautaire, en particulier dans le cadre de la stratégie de Lisbonne.

Bref, sans qu'aucune conrainte juridique ne les y pousse, nos braves fonctionnaires et politiques vont dans le sens du vent et "font européen", c'est bon pour leur carrière. Le Plan écrit noir sur blanc que son objectif est d'appliquer une stratégie européenne, et il faut encore de longs débats pour énoncer l'évidence que l'Europe encadre 80% de nos actions. Mais faisons comme si, et poursuivons l'argumentation avec un exemple.

Un chercheur en physique corpusculaire, Jacques Maillard, écrit ceci à propos de la loi LRU-Pécresse sur les universités :

le statut des chercheurs et enseignants chercheurs, le code de l'éducation, la loi de 84 qui garantit «totale liberté d'expression et autonomie pour les chercheurs dans le cadre de leur recherche» (article 57).

Comme beaucoup d'autres, cet obstacle sera pulvérisé par les injonctions de Bruxelles. Car la loi LRU est en réalité une adaptation aux directives à prévoir.

Le traité institutionnel (voir «traité de Lisbonne sur le site de l'Union Européenne) reprend textuellement en ses articles 137 et 138 le texte de l'article 253 de la «constitution» giscardienne rejetée par le peuple. Ces articles instaurent la possibilité pour l'union de faire des «directives» pour «construire l'espace européen de recherche», donner des «orientations, mettre en place des indicateurs», faire la «surveillance», imposer des «bonnes pratiques»... de la recherche.

Pour avoir une idée à quel genre de directives il faut nous attendre, il suffit de regarder la «recommandation» et la «charte des chercheurs» qu'elle introduit, de cette même commission européenne. La charte oblige (celui qui, «volontairement», la signe), à s'assurer avant toute publication que sa hiérarchie, et son «bailleur de fonds», sont d'accord. De même avant de commencer ou arrêter une recherche. Demain, la recommandation deviendra directive et ce sera obligatoire : l'article 57 sera de facto aboli dès que, grâce à la ratification du traité de Lisbonne, la commission aura pu transformer cette recommandation en directive.


Si j'avais à le faire à plein temps, je pense que les liens directs entre nombre de législations françaises phare et leur inspiration européenne sont assez faciles à retrouver (à commencer par les lois successives sur l'immigration, la notion d'immigration choisie s'inscrivant parfaitement dans les projets de cartes bleues européennes).

*

Bref, Jean-Louis Bourlanges est certainement estimable, il n'empêche que, dans le mensonge de bonne foi, il peut prendre place aux côtés de Richard Virenque, comme pas mal de défenseurs du oui...










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E
DJ Edgar n'est pas inquiet pour son groove !je laisse aux lecteurs le soin d'apprécier les "faits" qui font que selon toi la stratégie de lisbonne n'a rien à voir avec l'europe...
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V
Je me contente de souligne des faits : je regrette si ça casse ton groove
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E
Comment prendre les lecteurs pour des imbéciles : la stratégie de Lisonne n'a rien à voir avec l'Europe, c'est bien connu, d'ailleurs l'euro non plus, la PESD non plus, l'ouverture des jeux à n'importe qui non plus.Ce doit être la faute aux petits hommes verts.Et tu es en dessous de la réalité pour mes goûts autarciques : ce qui me rassurerait vraiment serait qu'on vivent tous enterrés dans un grand bunker en béton, l'air libre c'est encore trop dangereux.Merci pour tes arguments de haut niveau, je crois que ça contribue à bien marquer qui prend les gens pour des idiots dans le débat européen.
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V
La stratégie de Lisbonne ne relève pas du droit européen. Justement parce que ce dernier ne permet pas d'imposer des politiques économiques communes conhérentes aux Etats membres, c'est un accord intergouvernemental au Conseil européen (les chefs d'Etats et de gouvernements) qui fixe des objectifs communs aux Etats membres et à l'Union européenne.C'est typique du double discours des gouvernements qui refusent de confier à l'Europe les compétences nécessaires pour agir et prétendent qu'une simple coordination intergouvernementale suffit en prétendant qu'ils font de l'Europe. Quand on se rend compte que ça ne fonctionne pas c'est l'Europe qui est balmée alors qu'un machin comme la stétégie de Lisbonne ne relève ni des traités européens, ni du droit communautaire. Donc les mesures à prendre ne relèvent pas en effet de l'Union euroépenne, c'est le président de la République et le gouvernement de l'époque qui ont vus leurs collègues et ils ont déclaré, "ok on va faire comme ça". Rien donc de contraignant ni d'irréversible dans tout ça. Rien d'européen non plus si on considère que l'Union ce sont des traités et des institutions qui produisent du droit européen."Merkel a tenu à le rappeler explicitement pour faire plaisir à Edgar."Merkel se plante, ce qui ferait plaisir à Edgar ce serait qu'il y ait un mur en béton sur les frontières françaises et que l'on vive en autarcie.
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E
Bel exemple du vide de vos arguments. La présentation du Centre d'analyse stratégique, sur son propre site :"Le Centre d’analyse stratégique est un organisme directement rattaché au Premier ministre. Il a pour mission d’éclairer le Gouvernement dans la définition et la mise en œuvre de ses orientations stratégiques en matière économique, sociale, environnementale ou culturelle. Il prend en compte dans ses différents travaux qui sont rendus publics, les orientations de long terme définies au niveau communautaire, en particulier dans le cadre de la stratégie de Lisbonne."Le CAS va donc réfléchir à des mesures dans le cadre de la stratégie de lisbonne, il va prendre éventuellement lesdites mesures, que JMF et Valéry trouveront pas du tout européennes.J'appelle ça du foutage de gueule.
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J
C'est faux : le traité de Lisbonne prévoir une procédure pour qu'un Etat membre se retire de l'Union. Et également il y a une clause qui dit que les futurs traités pouront aussi bien rajouter qu'enlever des compétences à l'UE. Ce qui allait de soi mais Merkel a tenu à le rappeler explicitement pour faire plaisir à Edgar.
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V
"on peut penser que plus de 80% de la production légale française est Bruxelles-inspired"On peut le penser si on a beaucoup d'imagination mais si on se base sur les faits ce n'est pas le cas, c'est tout."Je suis désolé d'élever le ton, mais vous ne pouvez pas à la fois vous réjouir de chaque avancée vers plus de fédéral et continuer à expliquer que l'Europe ne pèse en rien."Personne n'a dit qu'elle ne pèse rien. Le fait est qu'elle ne pèse pas grand chose ce qui explique que l'on puisse se réjouir des avancées.En toute hypothèse un système fédérale partage la production du droit entre plusieurs niveaux. Ce qui dépend du niveau fédéral ou des Etats membres dépend de la constitution fédérale. C'est précisément pourquoi il faut une constitution européenne. "Alors assumez : soit vous reconnaissez que Bruxelles fait déjà 70% à 80% des politiques nationales, et expliquez qu'il en manque encore 20% ou 30% pour que ça marche bien, soit vous niez ce fait et vous êtes des menteurs"Non c'est faux. Affirmer le contraire est de la désinformation. L'Union européenn ne légifère que dans le cadre des compétences qui lui sont attribuées dans les traités. Tout le reste sans exception dépend du législateur national. Lorsque l'Europée légifère elle le fait généralement sous la forme de loi-cadres (ou directives) qui ne fixent que les objectifs. Les modalités de l'application dépend aussi du législateur national. C'est souvent dans ces modalités que l'on constate les points qui font débat : en effet le législateur national peut aussi aller au delà des objectifs fixés.Enfin, les textes européens ne sont pas tous de nouvelles lois. Beaucoup de ces textes sont des modifications de lois existantes, la mise en oeuvre d'accords internationaux, etc. Une étude récente (Oui Ed de  te trouverais les références) de Sciences-Po évaluait à moins de 5% les nouvelles initiatives parmi les propositions de la Commission (qui ne sont pas toutes adoptées par ailleurs)."Dernier point : de plus en plus Bruxelles non seulement prend des compétences aux états nationaux, mais surtout leur enlève la possibilité de les reprendre."Faux également : ce sont les gouvernements nationaux qui décident des compétences attribuées au niveau européen en signant entre eux des traités."Les français voient bien que tout pouvoir concédé à Bruxelles l'est de façon irréversible"C'est faux : le traité de Lisbonne prévoir une procédure pour qu'un Etat membre se retire de l'Union. Tout ceci n'a donc rien d'irreversible et le cas de figure est prévu.
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E
Ben voyons. Les franchises médicales c'est un texte français mais ça fait partie des "réformes structurelles" qui font qu'on est bien noté (ou pas) à Bruxelles, et qu'on tient la barre des 3% de déficit, même si le niveau élevé de l'euro est un handicap.Il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles, et même si 80% des textes en application en France ne sont pas rédigés à Bruxelles, on peut penser que plus de 80% de la production légale française est Bruxelles-inspired.C'est écrit en toutes lettres sur le site du Commissariat au flan (centre d'analyse stratégique) : l'objectif est d'appliquer la stratégie de Lisbonne. Qu'est-ce qu'il te faut de plus ?Enfin, en matière de droit pénal et civil, les pétitions récentes de professeurs de droit contre les empiètements de la CJCE en ces matières devraient te conduire à plus de prudence.Je suis désolé d'élever le ton, mais vous ne pouvez pas à la fois vous réjouir de chaque avancée vers plus de fédéral et continuer à expliquer que l'Europe ne pèse en rien. Vous fonctionnez comme des menteurs et des voleurs honteux. Alors assumez : soit vous reconnaissez que Bruxelles fait déjà 70% à 80% des politiques nationales, et expliquez qu'il en manque encore 20% ou 30% pour que ça marche bien, soit vous niez ce fait et vous êtes des menteurs, ou en tout cas, si c'est de bonne foi, vous vous exposez à être perçus comme tels par la majorité des citoyens qui ont bien l'impression que c'est le cas, arguments à l'appui.Dernier point : de plus en plus Bruxelles non seulement prend des compétences aux états nationaux, mais surtout leur enlève la possibilité de les reprendre. Les français voient bien que tout pouvoir concédé à Bruxelles l'est de façon irréversible (la politique des petits pas, tu connais. C'est Jean Monnet, de façon explicite. Tu vas m'expliquer qu'il ne savait pas ce qu'il disait ?!).
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J
Encore du bon travail des coulisses de Bruxelles pour faire la lumière sur cet euromythe (qui n'est pas l'exclusivité des eurosceptiques d'ailleurs, loin de là)  :http://bruxelles.blogs.liberation.fr/coulisses/2008/01/cest-la-faute-l.html#comment-95952626Jean Quatremer à Léa: "80% de la législation nationale est d'origine communautaire". Ah bon? Ou avez-vous vu ce chiffre? Prenons quelques exemples: le budget? National. Le social (du contrat de travail à la retraite en passant par la sécu), national. Le pénal? National. Le civil? National. Le seul domaine dans lequel le droit communautaire est plus important que le droit national, c'est le marché intérieur et la PAC. L'immigration et l'asile, à 90% restent nationaux alors que cela n'a aucun sens. Donc il faut arrêter de véhiculer des chiffres magiques sans fondement.------------------Xavier Delcourt à JQM: Les chiffres magiques.On sait que leur propagation a démarré il y a une vingtaine d’année avec une petite phrase de Delors [qui ne concernait que le marché intérieur (note de jmfayard)]. Depuis, ça dérive en effet dans tous les sens.On pourrait donc demander aux blogueurs des Coulisses de faire le point, ou de signaler qui a tenté de le faire et comment: au terme de quelles opérations produit-on ces proportions? Que signifie “d’origine communautaire?”. Si il y a des gens qui comptent, autant profiter de leur travail.Une petite contribution au dossier: celle du Conseil d’Etat dans son rapport 2007« Il convient de souligner que, quantitativement, la législation européenne reste modeste comparée à la législation nationale. Ainsi, d’après le Conseil d’État (« Études et Documents », 2005, p. 239), les directives en vigueur étaient au nombre de 1244 et les règlements de 5 1 91 alors que les lois françaises en vigueur étaient au nombre 10 500 et les décrets réglementaires de 120 080. Une étude du même type aboutit à des résultats comparables pour l’Allemagne (Bulletin Quotidien Europe, nº 9225, 5 juillet 2006, p. 7). »Bon voilà du quantitatif, pas trop daté, mais qui éclaire peu.
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E
Il t'a fallu deux jours pour pondre ça Valéry ? Y'a du mou dans le manche si je peux me permettre...Je te remercie de confirmer que les textes européens encadrent et orientent la plupart de la production textuelle française.Et je te remercie également au passage de démontrer ton opposition à la démocratie, à peine dissimulée par l'expression "fantaise législative de nos gouvernements". Il est certain qu'avec l'Europe, fini de rire : plus de négociations, plus de souci avec l'opinion des administrés, rien... Le règne éternel d'une technostructure enfin libérée de toute contestation.A la prochaine,Edgar
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