La lettre volée

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Notes sur "le vertige social nationaliste", de Dominique Reynié

L'ouvrage de Dominique Reynié n'est pas sans intérêt : son principal mérite est de révéler à quel point les tenants du non de gauche ont été calomniés, et continueront de l'être.

Il faut commencer par le titre de l'ouvrage, qui annonce la conclusion du livre : la gauche du non est proche du nazisme ! Elle commettrait en réalité les mêmes erreurs que celles qui ont mené, dans les années 30, Marcel Déat et Adrien Marquet de la SFIO au pétainisme.

Il faut comprendre comment Reynié parvient à ce diagnostic infamant, pour mieux rejeter cet amalgame. L'auteur commence par accumuler les citations de tenants du non, pour relier antilibéralisme et xénophobie, notamment à travers l'affaire du « plombier polonais ». Dans sa démarche, il procède cependant avec une extrême légéreté. Henri Emmanuelli est ainsi accusé de prononcer des phrases « dénuées de sens » car il affirme que figurent dans cette constitution « les bases juridiques de la directive Bolkestein ». Reynié n'a pas dû lire les articles III-144 et III-145, entre autres, qui, s'ils ne résument pas la directive, lui confèrent une base juridique solide. Plus loin, Reynié consacre près de dix pages à une nouvelle assimilation abusive. Partant de la boutade sur la constitution-Dracula (qui craint la lumière), il aboutit à la conclusion qu'il s'agit là d'une dénonciation antisémite – entre-temps, Jésus, Tertullien, Origène, Voltaire et Goebbels auront été convoqués pour les besoins de la démonstration. Pour se donner l'air d'un enquêteur, il n'hésite pas à accumuler les détails les plus inutiles (on apprend ainsi au sujet d'une intervention télévisée de Marie-Georges Buffet, qu'elle intervient « en duplex » !)

On aurait aimé que Dominique Reynié enquête cependant avec la même acuité sur les erreurs et approximations des tenants du oui de gauche. A commencer par François Hollande qui lâche le 26 mai, trois jours avant le scrutin : « si Chirac avait mis en jeu son mandat, le PS aurait naturellement appelé à voter NON, comme pour De Gaulle en 69 ». Tout les arguments en faveur du oui ne pèsent donc rien ! Quid des déclarations de Jack Lang : « Je souhaite qu’on fasse une Europe pour sauver le monde. » (France 3, 26.04.05) ou à droite, de Pierre Lellouche : « Si vous votez "non" au référendum on s'expose à un risque de guerre. » (France 2, 26.04.05).

Reynié disqualifie ainsi la campagne du non en relevant quelques citations soit abusives – rarement-, soit – surtout - rejetées trop rapidement parce qu'émanant de l' « extrême-gauche ». Le cas Fabius est plus difficile et Reynié doit lui consacrer un chapitre entier. Comme il le relève avec une honnêteté peu habituelle, Fabius a depuis longtemps prévenu des dangers d'un élargissement hâtif (« plaidoyer pour l'euroréalisme », Le Monde, janvier 1996). Ses arguments sont solides et Reynié peine à le prendre en défaut. Il voudrait le faire passer pour un xénophobe mais ne réussit encore qu'à travestir la réalité ou à nier des évidences. Fabius serait de mauvaise foi en faisant du patronat l'un des artisans du traité européen ? On rappellera, parmi d'innombrables exemples, que l'Institut de l'Entreprise, par la voix de Michel Pébereau, lançait le 18 mai un « appel des 100 en faveur du traité ».

Pour finir, faute d'avoir réussi à prouver, par des citations, la résurgence d'un nationalisme xénophobe de gauche, Reynié tente de s'appuyer sur l'histoire. Marquet et Déat, dirigeants de la SFIO des années 30, sont invoqués pour convaincre que le rejet du libéralisme conduit au pétainisme. C'est oublier au passage qu'en 1954, contre la CED, puis en 1957, contre le traité de Rome, c'est Pierre-Mendès France lui-même qui, par deux fois donc, s'opposa à la construction européenne en des termes très anti-libéraux : « le projet de marché commun tel qu’il nous est présenté ou, tout au moins, tel qu’on nous le laisse connaître, est basé sur le libéralisme classique du XIXe siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle les problèmes.Dix années graves, tant de souffrances endurées, les faillites et le chômage périodique nous ont montré le caractère de cette théorie classique de résignation ». Œuvres Complètes,Tome IV, Paris, Gallimard, 1987, p. 273.

Dans une prochaine édition, Dominique Reynié nous expliquera peut-être comment on peut assimiler mendésisme et pétainisme...

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E
Lisez ce livre et on reparle ensuite. En matière de délire Valéry (et M. Reynié) devraient se souvenir de la paille et de la poutre...
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V
La lecture de cette étude de la campagne par Dominique Reynié est vivement recommandée à tous ceux qui cherchent à comprendre comment la lepénisation des esprits a contaminé l'extrême-gauche et même une partie de la gauche démocratique. L'exemple de la campagne référendaire qui a brillé par ses excès (pute slovaque, plombier polonais, délires anti-lituaniens) est caractéristique.Dépassés par la fin de leur idéologie avec la chute du mur de Berlin, l'extrême-gauche a en fin de compte du grand à moudre en puisant dans les thèses du nationalisme, cette vision mythologique du monde où la communauté nationale - ce concept ayant servi à la propagande du 19e siècle à légitimer les Etats issus de l'histoire chaotique de l'Europe dans l'ère post-monarchique.
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