La lettre volée

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Jean-Claude Milner - Harry Potter à l'école des sciences morales et politiques

milner.jpgJ'ai cru à un gag en voyant ce livre. Mais j'avais oublié que Milner avait consacré un article dans Libé à expliquer "Pourquoi Harry Potter est de gauche".


Il s'agit d'une collection des PUF destinée à commenter des séries télé, collection à laquelle a été raccroché via la série de films. De fait, Milner s'appuie plus volontiers sur les films que sur le livre - ce qui me va bien, je ne les ai pas lus, mais ila effectivement lu les livres, en VO et en VF.

C'est donc un véritable admirateur de JK Rowling, qui prend au sérieux ce qu'il nomme le "récit potterien".


Sa thèse, abruptement synthétisée par mes soins : le monde des sorciers faillis est celui de la séduction médiatique, le monde humain est celui de la fragilité qui s'éduque, les bons sorciers sont les éduqués qui respectent les humains.

 

Une façon de faire l'éloge d'un savoir non manipulateur, qui ne soit pas une simple technique de gouvernement.

 

Cette thèse pourrait être plaquée, mais elle s'appuie de façon étayée et argumentée sur le livre, sans en faire un prétexte. J'ai eu l'impression que Milner n'accordait pas un plein statut d'oeuvre philosophique à JK Rowling (il ne convoque ni Heidegger, ni Spinoza, ni de philosophe moderne ou contemporain, toutes références qui abondent dans ses autres ouvrages), mais il la respecte profondément : "...je peux rassurer celles et ceux qui se sont passionnés pour Harry Potter. Ils ne se sont pas passionnés pour des bêtises".


D'une certaine façon, en ne lui concédant pas un statut philosophique, Milner fait de l'oeuvre de Rowling un objet d'une valeur peut-être encore supérieure : c'est à l'Epopée de Gilgamesh qu'il compare Harry Potter (dans le domaine de la philosophie, Platon est cité plusieurs fois, mais c'est un philosophe pour qui le mythe a une fonction heuristique).


Poudlard appartient donc au domaine de la mythologie, de la fable, et revêt une valeur symbolique, plutôt qu'explicite.


Symbole d'abord et surtout du rôle central, et politique, du système éducatif : "toute l'organisation du monde des sorciers dépend de la coexistence ou de la non-coexistence, au sein de l'école, des sang-pur et des sang-de-bourbe. Autre manière de dire que Poudlard est la pierre angulaire du système politique et social".


Milner rappelle les liens entre l'humanisme et la magie, renvoyant à Frances Yates (je trouve cette citation de Yates en ligne : "grâce à la magie, l'homme a appris comment utiliser la chaîne liant la terre aux cieux".)

Amusant de noter d'ailleurs que Milner note que l'église s'est d'abord opposée aux universités et à l'humanisme (évidence pour l'historien, j'avoue que la lecture du Frédéric de Hohenstaufen m'a rappelé ce fait); et que l'église catholique a protesté contre Harry Potter.


Poussant un peu à partir de l'interprétation de Milner (ce que l'on apprend à Poudlard c'est à domestiquer la magie), on peut dire que ce que craint l'église ce n'est pas la sorcellerie que promouvrait Rowling, mais bien l'idée que le savoir est un pouvoir qu'il faut apprendre à maîtriser.


Contre l'humanisme et jusqu'à aujourd'hui l'église a du mal avec ceux qui ne se contentent pas des lois divines (lire ce passage sur France Catholique : "Rowling présente la victoire de Harry comme le fruit de connaissances et de pouvoirs ésotériques : cela s’appelle gnosticisme. Au contraire, Tolkien présente la victoire de Frodo comme fruit de son humilité, de son obéissance et de son courage pour souffrir pour le prochain : cela s’appelle christianisme." La limite de l'humilité, de l'obéissance et du courage, c'est qu'avec ces trois qualités on n'apprend rien).


Une autre citation sur le rôle politique, ou proprement impolitique, de l'enseignement.


Le mal est situé chez Rowling, incarné par Voldemort. Milner en fait, de façon convaincante, un Hitler, avec le même aréopage de demi-habiles qui tous communient dans "l'imaginaire de supériorité" ("l'imaginaire de supériorité recèle un vice majeur, bien différent de ce qu'on lui reproche ordinairement. Ceux qui se croient supérieurs ne sont pas dangereux par leur arrogance ; de ce point de vue, ils sont risibles, fragiles minoritaires. Ils ne tiennent pas longtemps devant cet autre imaginaire, aussi pernicieux, qu'est l'imaginaire de la normalité. Ceux qui se croient supérieurs sont dangereux par leur propension à la servilité ; ils sont toujours prêts à admirer un "plus supérieur" encore et à se soumettre ; pire, ils ne demandent que cela.")

 

Milner discute enfin la notion d'État de droit (où il prend une position très opposée au positivisme juridique de Kelsen, sans citer celui-ci, ce qui est dommage), et fait de Hagrid l'incarnation du bon juge, de celui qui concilie la lettre et l'esprit du Droit.


Il faut lire ce livre profond, qui se termine par une méditation sur Locke, et qui est riche de multiples notes, remarques et arguments.

 

Post scriptum : je vais devenir expert en milnérisme, je me rends compte que j'ai commenté les Penchants criminels de l'Europe démocratique, son Salaire de l'idéal, le Sage trompeur et enfin sa Politique des choses I

 


 


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F
<br /> "Ceux qui se croient supérieurs etc."<br /> <br /> <br /> Bof, ça ne me paraît pas si bien observé que cela. Ceux qui ont un vrai complexe de supériorité ont tendance à ne jamais reconnaître à personne le statut "d'encore supérieur". Il y a pas mal<br /> d'exemples chez les despotes en tout genre, chefs mafieux, gourous, monarques absolus et autres "Danube de la pensée". En revanche, ceux dont Milner parlent, me semble-t-il, et qui constituent la<br /> grande majorité des cas, ne sont pas profondément convaincus d'être supérieurs, mais ont besoin qu'un chef, encore "plus supérieur" (sinon d'où viendrait sa légitimité ?), le leur dise,<br /> en échange de leur totale servilité. (Ils ont aussi besoin de se regrouper pour s'entretenir mutuellement dans le mythe de leur propre grandeur. Tout cela est bien connu.)<br />
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P
<br /> La scholastique stérilisante, c'était au temps de la décadence du 15eme s. Mais avant, il y avait eu dans les collèges (l'université médiévale n'était pas une structure centralisée) Abélard,<br /> Guillaume de Saint-Amour, Albert le Grand, Thomas d'Aquin...pour ne parler que de Paris. Il y avait d'autre raison que l'Université de se méfier de Frédéric II de Hohenstaufen.<br />
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E
<br /> pierre : de ma lecture du frédéric II, je retiens que l'église s'est battue pour que ne soit enseigné, au sein de l'université créée par frédéric, l'une des premières, que du droit canon. ni<br /> médecine, ni droit romain, aucune matière qu'elle ne puisse contrôler.<br />
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A
<br /> Oui l'Eglise a fondé les Universités pour mieux encadrer  les intellectuels. C'est pour cette raison que pour lutter contre la scholastique qui stérilisait les inteligence , François 1 er a<br /> fondé le collège de France conseillé par Guillaume Budé un des grands humanistes . <br />
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P
<br /> "Ceux qui secoient supérieurs sont dangereux par leur propension à la servilité" c'est très bien vu!<br /> <br /> <br /> "L'église s'est oppsée aux universités" Vous plaisantez? C'est elle qui les a fondées...<br /> <br /> <br />  <br />
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A
<br /> Entièrement d'accord sur cette phrase : " ce que craint l'église ce n'est pas la sorcellerie que promouvrait Rowling, mais bien<br /> l'idée que le savoir est un pouvoir qu'il faut apprendre à maîtriser." Et je préciserais que toutes les "eglises " ont cette crainte qu'elle soit judaïque , musulmane ou autres  Précision le<br /> terme  "église" veut dire la communauté des croyants .<br />
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