La lettre volée

Notes et idées : Politique, Bandes dessinées, Polars, Media, Actualité, Europe...

J+1, ou les quatre scénarios de la présidence Hollande

 

"Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce."

Marx, "le 18 brumaire de Napoléon Bonaparte".

 

 

Donc c'est fait. Sarkozy est parti, Bayrou et Marine l'ont tuer. Il s'est tué tout seul en vérité. Quel air soulagé il arborait hier soir !

Je ne regrette pas d'avoir voté Hollande. J'ai revu Mélenchon haineux contre quelques journalistes du petit journal (émission minable mais ce n'est pas le problème). Il a choisi de traiter de pétainistes les partisans de la sortie de l'euro, je ne pouvais pas voter pour un homme qui prend ainsi l'évidence à rebrousse-poil et a préféré partir en guerre contre les banquiers, trop faciles bouc-émissaires.

Hollande a, sur le fond, en affirmant le rejet d'une Europe de l'austérité, été finalement aussi solide que Mélenchon. Il aborde une phase extraordinairement difficile avec les mains libres. Sans beaucoup de cartouches non plus.

Un bon papier du Daily Telegraph donne dix semaines à Hollande pour convaincre les marchés de la solidité de sa politique. 

L'auteur souhaite que Hollande annonce des impôts et des coupes budgétaires, à la Bayrou.

S'il prend ce chemin, Hollande engagera la France sur la voie de la Grèce : une spirale déflationniste sans fin.

L'autre voie, suggérée par Paul Krugman, est celle d'une relance monétaire européenne. Je n'y crois qu'à moitié. D'abord parce que relancer quand on a une monnaie surévaluée c'est d'abord relancer les importations. Sauf à avoir une politique industrielle dirgiste, qui oriente les investissements sur du long terme et du local, mais les politiques européennes sont incapables de cela : trop lourdes, faites pour rechercher le plus petit commun dénominateur. Ensuite parce que l'Allmeagne n'acceptera pas.

Le reste de l'article de Krugman contient deux points forts :

1. une autre réponse possible et salutaire à la crise serait la fin de l'euro (One answer — an answer that makes more sense than almost anyone in Europe is willing to admit — would be to break up the euro, Europe’s common currency.)

2. il confirme que l'euro est non pas la solution mais la cause des problèmes européens (" Europe wouldn’t be in this fix if Greece still had its drachma, Spain its peseta, Ireland its punt, and so on, because Greece and Spain would have what they now lack: a quick way to restore cost-competitiveness and boost exports, namely devaluation.")

Krugman n'a pas l'air d'indiquer que le coût économique de l'euro serait lourd : "breaking up the euro would be highly disruptive, and would also represent a huge defeat for the “European project,” the long-run effort to promote peace and democracy through closer integration." Il voit dans la fin de l'euro un coût politique, mais pour l'économie on peut imaginer beaucoup de choses derrière l'expression "highly disruptive" - pas forcément pires que les années de récession que nous a déja values l'euro.

 

Il y a donc à mon sens trois scénarios pour la présidence Hollande :

 

1 - Le clash franco-allemand et la fin de l'euro.

Pour moi c'est le meilleur scénario. Les allemands refusent la création d'eurobonds à un niveau qui permettrait une réelle relance européenne, et refusent la création monétaire multipliée par la BCE. La France rejette l'application des règles de stabilité, l'euro explose par exemple suite à une fuite des capitaux français vers l'étranger. Il faudrait cependant que France et Allemagne sachent affirmer que l'euro est rejeté pour ses défauts, et que ce n'est l'échec ni d'une amitié franco-allemande qu'il faudra relancer par d'autres moyens, ni de la paix en Europe. Cela exigera de sortir de l'automatisme euro=union européenne=paix.

 

addendum : sur la page Facebook de l'UPR, F. Asselineau signale une déclaration allemande toute fraîche :

"Pas possible de renégocier le pacte budgétaire européen

 BERLIN - Il n'est pas possible de renégocier le pacte budgétaire européen, a affirmé lundi le porte-parole de la chancelière allemande Angela Merkel, Steffen Seibert.

Il n'est pas possible de renégocier le pacte budgétaire, qui a déjà été signé par 25 des 27 Etats membres de l'Union européenne et qui a pour but de renforcer la discipline dans la gestion des finances publiques, a dit M. Seibert lors d'une conférence de presse régulière, bien que le nouveau président français, François Hollande, veuille lui adjoindre un volet sur la croissance.
(©AFP / 07 mai 2012 12h18)"

Ca commence bien...

 

2. L'entre-deux ou la mort lente

C'est le scénario le pire, où l'on voit la zone euro s'étioler lentement à coup de plans de sauvegardes boiteux succédant à des révoltes locales sporadiques. Hollande obtient 200 milliards d'euro-obligations (rappelons que les règles dites Bâle III devraient coûter près de 400 milliards d'euros aux banques), la BCE n'augmente pas ses taux, les allemands continuent de râler mais l'euro tient. Avec une baisse de l'euro ce scénario peut "permettre" à la zone euro de tenir dix à quinze années, jusqu'à ce que nos enfants en aient assez de vivre de moins en moins bien chaque année.

 

3. La naissance d'une nation

Par on ne sait quel sursaut, les populations européennes, au lieu de coller des affiches comme celle ci-dessous, qui a fleuri récemment à Bruxelles, se mettent à se réjouir de leur commune appartenance. Les budgets européens sont multipliés par quatre ou cinq (le budget européen devient de très loin le premier budget de la zone, écrasant ce lui de l'Allemagne), la Banque Centrale européenne déclare que son objectif de change est de 1 euro pour un dollar, une politique industrielle est définie au niveau européen, des écluses européennes protégeant contre le dumping social sont arrêtées (y compris contre le dumping social intra européen)...

euroc.png

 

Il existe un quatrième scénario, suggéré par la très intéressante Megan Greene : quelques "petits pays"  quittent la zone euro, ce qui facilite l'adoption de politiques communes par les grands pays restants, qui n'ont plus à craindre de devoir subventionner des pays indisciplinés. Cela suppose cependant une rationalité des acteurs qu'on imagine mal. Cela suppose également que le projet européen tel qu'il continue d'être supporté par la gauche y compris Mélenchon, perd son apparence de solidarité inconditionnelle (certes réservée aux peuples blancs et chrétiens, parce que c'est bien connu, quand Le Pen dit qu'il préfère sa famille à son voisin et son voisin aux métèques c'est du racisme, mais quand on est censé préférer l'allemand et l'espagnol au marocain ou au tunisien c'est de l'internationalisme).

 

Il faut en tout cas bien intégrer l'idée que les replatrages de la zone euro, EFSF, 6 packs et autres sparadraps si complexes que la presse a renoncé à les évoquer, n'ont en rien amélioré la stabilité de la zone (lire governance reforms leave euros flawed structure intact).

 

 

Conclusion : La France et l'Union européenne sont à la croisée des chemins et Hollande est élu à un moment de fragilité. De mon point de vue, il aborde le moment avec une position très habile : sur le fond, il a rejeté l'idée de l'austérité, à la Mélenchon, sans pour autant aller droit à l'échec avec des propositions inacceptables (rejeter le pacte de stabilité mais de façon implicite, sans rejeter l'Union, ce qui revenait, de la part de Mélenchon, à expliquer qu'on allait laisser pisser notre chien dans la cour allemande sans se soucier de leur réaction).


C'est aux français d'indiquer clairement à Hollande jusqu'à quel point ils rejettent la spirale de l'austérité imposée : jusqu'au point d'accepter de sortir de l'euro, avec joie. En attendant, pour revenir à Barbara et Marx, c'est mon état d'esprit du jour : content d'être débarassé de l'anxiogène Sarkozy, pas jusqu'au lyrisme de Barbara cependant, et conscient que Hollande risque de n'être qu'un pâle reflet du Mitterrand de 1981, en qui tous les espoirs étaient placés. Le principal atout de Hollande étant qu'il a l'air conscient de l'écueil.

 

 


Post scriptum : Il y a d'autres enjeux que les questions européennes. J'en suis si conscient que j'ai voté Hollande aux deux tours. Sur les questions de justice, d'éducation et sur d'autres sujets, il aura, je l'espère, l'occasion d'appliquer des politiques de gauche, intelligentes et généreuses. Mais les moyens qui lui seront donnés pour cela dépendent intégralement de la capacité que nous aurons, ou pas, à sortir de l'enlisement européen.

 

 

 


 

 

 


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D
<br /> plus j'y réfléchis et plus je me dis que ce qu'a fait mélenchon est grave. s'il suffisait de rassembler les jeunes pour être vertueux, un télévangéliste floridien peut sans doute faire<br /> l'affaire. mais avoir inculqué à une génération l'idée que vouloir sortir de l'euro, en 2012, alors que le truc pète de partout et étrangle la grèce, c'était du pétainisme, ça me reste en<br /> travers.<br /> <br /> <br /> Tout à fait d'accord. Un homme politique est responsable des idées qu'il fait circuler. Et lorsqu'il s'adresse à la jeunesse, il est doublement responsable. <br />
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G
<br /> Faites un vote dans une clase de 3eme, 2sd, 1ere sur la peine de mort ou l'euthanisaie active : 65 % pour.<br /> <br /> <br /> Mélenchon n'a pas fait "revenir" les "jeunes" dans la politique, il se sert d'eux comme "SOS racisme" ou "touche pas à mon pote" l'a fait en utilisant leur sensibilité et leur générosité et en<br /> les détournant des vraies analyses ... pour le plus grand profit du PS (et de la sociale-démocratie libéral-européiste)<br />
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P
<br /> edgar,<br /> <br /> <br /> certes, haineux n'est pas un qualificatif très utile pour se faire comprendre, mais quand aux centaines de milliers de jeunes qui ont pris goût à la politique avec mélenchon, il faut garder en<br /> tête deux choses<br /> <br /> <br /> - malheureusement, ils ont "découvert" l'engagement dans une forme très médiatique, porteuse d'illusions sur la réalité des combats politiques, et seront très vite confrontés au mur du réalisme<br /> qui conduira aux compromis qu'annoncent déja le nr 2 du PG cherchant à négocier des parlementaires avec le PS... J'ai été surpris sur mon campus de Villeurbanne ou JLM avait fait son premier<br /> grand meeting de l'absence ensuite de toute mobilisation visible de terrain (pas de rencontres, peu de tracts, pas d'affiches.... et à l'assemblée générale des enseignants contre la rigueur<br /> budgétaire imposée à l'établissement... peu de monde..<br /> <br /> <br /> - et surtout, cette mobilisation du FdG est très inégale socialement et géographiquement ! Ca se traduit dans le résultat (voir l'Huma du 30/04) ou JLM dépasse le vote communiste historique dans<br /> les centres villes, le Sud Ouest, mais confirme son érosion continue dans les zones ouvrieres, le Nord Pas de Calais... même si certains villes PCF lui donnent de bons scores.<br /> <br /> <br /> une analyse plus détaillée sur http://lepcf.fr/le-vote-Front-de-Gauche-et-le-vote<br /> <br /> <br /> il me semble que ceux qui ont fait la fête à la Bastille en 2012 ont un besoin urgent qu'on leur rappelle les suites du 10 Mai 81... <br /> <br /> <br />  <br />
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A
<br /> Oui, c'est l'exact inverse. Le but de la construction européenne est de faire des États membres des Etats comme ceux des USA mais ils ne le sont pas encore. L'Allemagne ne sera certainement pas<br /> d'accord que les NCBs finance leurs Etats mais elle peut sortir de l'euro si ça ne lui convient pas.<br />
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E
<br />  @fred : je ne suis pas d'accord. plus j'y réfléchis et plus je me dis que ce qu'a fait mélenchon est grave. s'il suffisait de rassembler les jeunes pour être vertueux, un télévangéliste<br /> floridien peut sans doute faire l'affaire. mais avoir inculqué à une génération l'idée que vouloir sortir de l'euro, en 2012, alors que le truc pète de partout et étrangle la grèce, c'était du<br /> pétainisme, ça me reste en travers. je suis peut être injuste, et je rechangerai peut-être d'avis. mais pas tout de suite.<br /> <br /> <br /> @aliena : je ne vois pas la logique entre ce que vous écrivez et l'article vers lequel vous renvoyez, où il est écrit ceci : "Les membres de l’Euro zone sont comme les États individuels aux US.<br /> Comme la Californie, l'Irlande doit sortir a l’extérieur pour "trouver" la monnaie -- soit en taxant ou en empruntant-- avant de pouvoir dépenser.". ça me semble être l'inverse exact.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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A
<br /> En recherchant plus avant, (ELA: emergency lending assistance), il se trouve que les banques centrale nationale ont toujours la capacité d’émettre des euros.<br /> Les NCBs ne sont pas des accessoires de l'ECB, l'ECB est une construction de ces NCBs en tant que joint venture. Les NCBs ont une autorisation de découvert illimitée a l'ECB qu'elles peuvent<br /> utiliser si elles le souhaitent. Les États peuvent toujours diriger les NCBs comme ils le désirent.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> http://alienaeconomics.blogspot.com/2011/06/irlande-contre-les-us-un-seul-des-deux.html<br />
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F
<br /> @Edgar T'as vraiment un problème familial avec Méluche toi ! Tu ne te rends même pas compte qu'en expédiant ce mec sous l'étiquette facile de "haineux" tu insultes les centaines de milliers de<br /> gens (notamment les jeunes) qui sont revenus à la politique grâce à lui, parce que tu sousentends que ces gens sont venus à la politique par la haine. Ta myopie sur ce sujet trahit chez toi un<br /> incroyable mépris pour les foules qui m'inquiète beaucoup. Tu pourrais au moins avoir la délicatesse de respecter un peu le phénomène sociologique de remobilisation politique par l'idéal<br /> républicain qui s'est opéré à travers Mélenchon.<br />
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E
<br /> @joe : merci. gérard va plus vite que la musique.<br /> <br /> <br /> @fabien : le scénario 2 est le plus probable dans l'intention des dirigenants, c'est celui-ci qu'ils ont en tête (tous les dirigeants européens non désireux de sortir de l'euro sont obligés à<br /> cela). Mais on ne fait pas toujours ce que l'on veut et les déséquilibres s'accumulant, le chateau de cartes devient plus fragile.<br /> <br /> <br />  <br />
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F
<br /> Edgar, est-ce que vous croyez une seule seconde à un autre scénario que le 2eme ?<br />
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J
<br /> @ Gérard Couvert<br /> <br /> <br /> Je n'ai pas tout à fait lu la même chose que vous ; j'ai plutôt lu : il fallait faire perdre Sarkozy. Et aussi : il faut espérer que Hollande ira au clash, avec toutes les conséquences ultimes<br /> qui peuvent s'ensuivre - du genre éclatement de l'euro. En ce qui me concerne, j'ai assez peu d'espoir, mais semble-t-il Edgar en a davantage. De toute façon, on sera fixé assez vite…<br />
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